Aller au contenu principal
l'agenda

NAWEL BEN KRAIEM

Par Frida Dahmani - Publié en octobre 2016
Share
Autodictate, la chanteuse et compositrice tunisienne à la voix douce et au grain voilé est une fille des deux rives de la Méditerranée. Celle qui mêle les sons d’Orient à la pop occidentale vient de sortir Navigue, un album rock et folk ciselé comme un moucharabieh avec vue sur mer.
 
SES LIVRES
L’ouvrage Peau noire, masques blancs de Frantz Fanon, toujours actuel quant aux rapports avec l’oppression, m’a permis de mettre des mots sur les injustices et d’appréhender le monde avec plus  de lucidité. Une humanité en quête d’une autre à partir d’un exil est aussi ce qui m’interpelle chez l’écrivaine turque Elif Shafak ; la construction moderne imprégnée d’une spiritualité de ses romans, dont Soufi mon amour et La Bâtarde d’Istanbul, me ramènent aux allers-retours entre ancrage et  décalage. Une sorte d’intime que je retrouve dans les poésies de l’Américaine Sylvia Plath. Les vers de « Verticale je suis » et leur charge poétique sont une source d’émotion à chaque lecture.
 
SA TABLE
Je ne résiste pas à la street food, plus précisément celle de mon enfance. Le must est le fricassé, beignet salé fourré d’harissa, de thon et de câpres, vendu sur l’avenue Bourguiba à La Manouba, près du quartier de Tunis où j’ai grandi. Le kaak warka de Sfax est ma douceur préférée mais rien ne vaut un thé sous le bruissement du peuplier du Saf Saf à La Marsa suivi d’un sorbet citron-fraise chez Salem sur la corniche. Des goûts d’enfance et de terroir avec lesquels je renoue à Paris autour d’un couscous berbère à la façon algérienne au Miyanis, à Ménilmontant. 
 
SA SCÈNE
Je chante mais c’est la danse qui m’éblouit. Uniquement composée de femmes, la compagnie des  Swaggers Crew dirigée par la chorégraphe Marion Motin m’enchante par son travail entre contemporain et hip-hop, avec une mention spéciale à leur spectacle In The Middle et à la performance de la danseuse et poète Lydie Alberto. Ces femmes, d’abord amies, se sont lancées sur scène en assumant leurs corps différents devenus vivants loin des diktats de la danse ; un superbe lâcher-prise sur une musique de Lhasa.
 
SON VOYAGE
Partir et revenir rythme ma vie. J’ai une certaine nostalgie d’Istanbul pour ses oiseaux, ses bars underground à la berlinoise et ses mosquées. Aux antipodes de cette ville dans ses grandes eaux, entre deux continents, je conserve en mémoire la lumière magique de l’archipel de Kerkennah en Tunisie. Un territoire insulaire, suspendu en dehors du temps, qui ramène à l’essentiel des éléments ; terre et mer confondus dans une harmonie qui inspire la paix de l’âme. Mais la découverte à entreprendre serait celle de l’Iran.
 
SA MUSIQUE
Je viens de revoir à la Fête de l’Humanité Lauryn Hill qui, à travers un mélange de chant et de rap, impose un groove à l’énergie toujours charismatique. Je suis épatée par le minimalisme soul de ames Blake, qui a collaboré sur le dernier album Beyoncé. Mais la diva incontestable restera toujours Warda al-Jazairya, avec son univers sensuel. À l’opposé, je suis fascinée par la gestion du silence dans les oeuvres d’Anouar Brahem. 
 
SON FILM
L’un de mes récents coups de coeur a été pour Voiler la face, un court-métrage d’Ibtissem Guerda dont j’ai assuré la partie musicale. Le regard décapant que porte la réalisatrice sur la société de la diversité est une bouffée d’oxygène pertinente et hilarante. Les lectures du monde actuel m’interpellent ; La Loi du marché de Stéphane Brizé sur le capitalisme, les valeurs morales et la solitude engendrée est une pépite. Mais c’est au cinéaste Alejandro González Iñárritu, réalisateur de Babel, que je décerne ma palme. Ce Mexicain bouscule les codes, va et vient d’un univers à un autre, crée des passerelles vers des destinées qu’un simple coup de feu fait basculer. 
 
SON PROJET
Je viens de faire mes premiers pas au cinéma cet été devant la caméra de Mehdi Ben Attia (photo), aux côtés de Hafsia Herzi qui tient le premier rôle. Le tournage de L’Amour des hommes a été une belle expérience mais j’en ai vécu une tout aussi, si ce n’est plus, exaltante en faisant une collaboration à peine entamée avec Julie Zenatti, qui devrait aboutir à un CD. Il s’agit d’un projet de femmes où nous revisitons les chansons de la Méditerranée ; un patrimoine commun qui réunit alors que beaucoup de positions, notamment politiques, sont clivantes. Mon prochain album est aussi en cours de finition.