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Abdoulaye Wade dans l'impasse

Par zlimam - Publié en février 2012
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Je regarde ce qui se passe au Sénégal, pays proche de nous, de notre magazine, pays d’amis. Et, il faut le rappeler, pays précurseur de la démocratie africaine. À l’heure où j’écris ces lignes, je ne sais pas comment va évoluer la situation. Mais, une fois de plus, l’Afrique cède à cette maladie terrible du pouvoir.

Je me souviens de l’avocat « exilé » à Paris, ou plutôt à Versailles, de sa grande silhouette enveloppée dans les manteaux noirs de l’hiver. Je me souviens de l’opposant déterminé, capable d’aller en prison, de ne pas céder, de mener un combat électoral de près de vingt ans. Je me souviens d’Abdoulaye Wade pragmatique, ministre d’État, dans un grand boubou bleu, imaginant déjà le Sénégal de demain. Je me souviens d’un personnage créatif, brillant, fourmillant d’idées, distant, sûr de lui, froid, fier de son travail et de ses projets, déterminé à prendre le pouvoir un jour. Enfin, je me souviens de la formidable élection de 2000, extraordinaire moment de liberté, victoire du changement, du Sopi. Je me souviens de cette journée historique où l’on a vu Abdou Diouf partir avec élégance.

 

Enfin une véritable alternance ! On croyait alors que les Sénégalais avaient élu un patriarche d’expérience incarnant une transition historique. Décidé à renforcer les processus démocratiques. Et, douze ans plus tard, avec deux réformes constitutionnelles et deux mandats au compteur, on se retrouve avec le même homme, toujours aussi « formidable », mais bien décidé à garder son fauteuil. À briguer un troisième mandat, à 85 ans. En jouant, s’il le faut, avec toutes les lignes rouges de la démocratie.

Je pourrais faire un exercice de politiquement correct. Peser le pour et le contre. Mais franchement, je ne vois pas. Dépassons la question de la légalité de la candidature elle-même, pourtant bien réelle. Admettons qu’Abdoulaye Wade ait le droit de se présenter. Pour lui, pour son parti, pour ses proches, pour le Sénégal, pour l’Afrique, c’est la campagne de trop, une décision tragique, celle d’un homme à la fois envahi et usé par le pouvoir, prisonnier de ses certitudes. C’est le moment où un homme d’État manque définitivement son rendez-vous avec l’Histoire. Que peut-il apporter de différent, après douze ans d’exercice du pouvoir ? Comment incarner l’avenir à son âge ? Comment prôner des valeurs démocratiques si lui-même ne propose comme projet politique que son maintien ad vitam aeternam, c’est le cas de le dire, au Palais ? Comment admettre que le Conseil constitutionnel élimine, sous un prétexte aussi fallacieux, la candidature de Youssou Ndour, véritable « Boy Dakar » (voir p. 30) ? Comment un président qui se réclame de la démocratie peut-il se lancer dans une élection à périmètre variable ? Et je ne reviens pas sur la tentative stupéfiante de réforme constitutionnelle de juin dernier… Pourquoi toutes ces grandes manoeuvres, si ce n’est la peur de perdre ?

Admettons qu’Abdoulaye Wade gagne, ce qui n’est pas exclu. Quelle serait la crédibilité de ce Sénégal gouverné par un autocrate vieillissant et autoritaire, aux prises avec la quasi-totalité de la société civile et politique ? Comment, dans ces conditions, créer ce fameux hub de l’Afrique de l’Ouest, faire du Sénégal un pays émergent et moderne ? Et puis, il faudra bien alors parler bilan. Des choses ont été faites. Mais le Sénégal va-t-il vraiment mieux ? Sur les questions de droits de l’homme, de gouvernance, de lutte contre la pauvreté, de développement, de sécurité alimentaire et énergétique, etc. ? Abdoulaye Wade est un formidable politicien, un personnage hors normes. Et il fut un homme d’État. Mais pour toutes les raisons exprimées et assumées cidessus, pour éviter la crise ou la révolution, le Sénégal a besoin de changement, d’alternance, de renouvellement générationnel. Le Sénégal a besoin d’une élection ouverte qui refonde le système politique. Et le Sénégal a besoin d’un nouveau président.

Par Zyad Limam