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NABIL ZORKOT
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Tableaux

Aboudia :
«C’est aux artistes de montrer ce qu’ils valent»

Par Amélie Monney-Maurial - Publié le 28 février 2025 à 11h51
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C’est l’une des figures majeures de l’art contemporain. Il se perçoit comme un écrivain qui peint ce qu’il voit. Et comme un artiste à vocation universelle qui refuse de se laisser enfermer par des frontières.

AM: Comment Abdoulaye Diarrassouba est-il devenu Aboudia?

Aboudia: C’est un pseudo qui est né à l’école. On a simplement combiné Abdoulaye et Diarrassouba pour créer un nom d’artiste. En réalité, il n’y a pas deux personnalités: Abdoulaye, l’homme, et Aboudia, l’artiste, partagent les mêmes valeurs et les mêmes émotions. Ce qui les différencie, c’est le mode d’expression. Mon travail est une manière de transformer des idées et des réflexions en quelque chose de visible, de tangible.

Les médias vous qualifient souvent de «peintre de la guerre». Qu’en pensez-vous?

C’est une étiquette facile, un raccourci. Oui, j’ai bel et bien peint des moments marquants de l’histoire de la Côte d’Ivoire, à l’image de la crise postélectorale, mais réduire mon travail à ça, c’est ignorer son essence. Mon sujet principal, ce sont les enfants des rues, leur éducation, leur avenir. En tant qu’artiste, je me sens responsable de la société dans laquelle j’évolue. Comme un écrivain qui raconte l’époque dans laquelle il vit, je peins ce que je vois, ce qui me touche. Mais considérer que je suis le «peintre de la guerre», c’est nier la diversité de mon travail.

Quelles sont vos principales inspirations?

Les enfants des rues sont ma plus grande source d’inspiration. Leur énergie, leurs défis, leur réalité… Tout ça me parle. J’ai grandi en observant ces enfants qui dessinaient dans leurs cahiers, mélangeant l’innocence et la créativité brute. Mon travail est une célébration de l’éducation et de la formation, parce que je crois que les enfants sont le pilier d’une nation. Si on ne leur donne pas les outils pour réussir, que deviendront-ils? Mon art cherche à transmettre ce message de manière simple, presque candide, pour que tout le monde puisse le comprendre.

On vous compare parfois à Basquiat. Que pensez-vous de ce parallèle?

Red Traffic, 2019. Technique mixte sur toile, 150 x 200 cm, galerie Cécile Fakhoury. ABOUDIA/GALERIE CÉCILE FAKHOURY
Red Traffic, 2019. Technique mixte sur toile, 150 x 200 cm, galerie Cécile Fakhoury. ABOUDIA/GALERIE CÉCILE FAKHOURY

Je n’aime pas les comparaisons. Quand j’ai commencé à peindre, je ne connaissais même pas Basquiat. Ces parallèles ne rendent pas justice à mon travail. Je veux qu’on le reconnaisse pour ce qu’il est, pas parce qu’il ressemble à celui d’un autre. De la même manière, je n’aime pas que l’on parle d’«art contemporain africain». Je suis Africain et mes origines se reflètent dans mon art. Mais l’art est universel, il n’a pas de frontières. Quand on regarde mes œuvres, on devrait voir mes influences: le graffiti, le nouchi, l’énergie des rues d’Abidjan.

Vous utilisez beaucoup de journaux, de papiers imprimés et de cahiers dans vos créations. Pourquoi?

C’est une manière de parler de l’éducation, de la formation. Les livres, les journaux, les cahiers que l’on trouve dans mes œuvres symbolisent l’apprentissage. Les graffitis que j’ajoute représentent l’énergie brute des enfants des rues. C’est une manière de dire: «Allez à l’école et apprenez, tout en gardant votre créativité.»

Vous avez collaboré avec des artistes comme Frédéric Bruly Bouabré. Qu’avez-vous appris de ces expériences?

Ce sont des moments riches. Collaborer avec une figure comme Bouabré, c’était rendre hommage à une génération qui a ouvert la voie. Pour moi, transmettre le savoir et tendre la main à ceux qui viennent après, c’est essentiel. L’art ne doit pas être une ligne discontinue, mais une chaîne où chaque maillon renforce le suivant.

Quelle est la place de l’art en Côte d’Ivoire, aujourd’hui?

Malheureusement, l’art n’est pas encore assez valorisé. Beaucoup de gens le voient comme une perte de temps. J’entends souvent, à propos de mon travail, des remarques comme : « Mon enfant fait mieux que ça.» Mais les choses changent. Il y a de plus en plus de galeries privées, de mécènes qui soutiennent nos œuvres. C’est à nous, artistes, de prouver que notre travail a de la valeur.

Quelles initiatives pourraient mieux soutenir les artistes ivoiriens?

Ce n’est pas seulement une question d’initiatives. C’est aussi aux artistes de montrer ce qu’ils valent. Il faut travailler dur et ne pas attendre que tout vienne des autres. Les institutions publiques aident peu, mais le privé commence à prendre le relais. Ce que je voudrais voir, c’est une vraie reconnaissance de l’art comme un pilier de notre culture et de notre société.

Quels sont vos projets à venir?

Je suis sur une nouvelle série de sculptures. C’est un médium que j’explorais déjà aux Beaux-Arts, mais que je n’avais jamais montré. Je veux que cette prochaine étape de mon travail reflète encore plus mon message d’éducation et de transmission.

Si vos œuvres étaient des cartes postales envoyées à l’humanité, quel message serait au dos?

«Paix, amour, responsabilité.» On a tous le choix entre la guerre et la paix, entre la haine et l’amour. Pourquoi choisir ce qui divise quand on peut avancer ensemble? Si chacun assumait ses responsabilités, le monde serait meilleur.