Aller au contenu principal

Africa One

Par zlimam - Publié en février 2011
Share

Trente-huit nations ne sont pas éligibles aux crédits de la Banque, ce qui en dit long sur la (non-) capacité d’endettement et d’investissement public de la plupart des États. Mais les prêts au secteur privé augmentent d’une année sur l’autre, ce qui témoigne du dynamisme naissant des entrepreneurs. Beaucoup de pays ont mieux résisté à la crise que prévu, soit parce qu’ils y étaient relativement préparés, soit parce qu’ils ont bénéficié de la baisse du coût des matières premières (pétrole en particulier) et/ou de celle des produits alimentaires, et/ou de la reprise de certains produits d’exportation, café, et coton par exemple. (Ceux qui ont le plus souffert sont évidemment… les pétroliers.)
Mais au-delà de la conjoncture actuelle, certains signes laissent entrevoir des lendemains structurellement meilleurs. La « dernière frontière de la mondialisation », comme aiment la décrire les grands magazines internationaux, est déjà en train de bouger. Le continent dispose de ressources naturelles considérables, des matières premières, des terres arables. Le potentiel agricole et minier est impressionnant, à condition de pouvoir se protéger des prédateurs et des partenaires trop gourmands. Des acteurs majeurs internationaux s’intéressent à nous : la Chine, on l’a vu, les États-Unis aussi, la Russie, le Brésil (et l’Europe évidemment, mais cahin-caha avec son dynamisme habituel). Des powerhouses, des puissances régionales, sont en train de se structurer, et elles pourront entraîner dans leur sillage des pays plus petits ou plus enclavés.
Enfin, les changements démographiques vont bouleverser la donne économique. Donald Kaberuka insiste, en particulier, sur l’urbanisation. Le développement des villes crée des consommateurs, des clients et provoque une demande forte de services : télécoms, banques, commerce, transport… C’est là, dans ces grandes cités, qu’est en train de naître un capitalisme africain. C’est là, au contact du grand monde, qu’est en train de se développer une nouvelle classe d’affaires, ambitieuse, globale dans son approche. Hier, on parlait beaucoup social, lutte contre la pauvreté, aide, redistribution. Aujourd’hui, on a compris que lutter contre la pauvreté, c’est d’abord investir dans la croissance, créer des entreprises, des richesses, lancer des infrastructures…
On peut se risquer à certaines comparaisons. L’Afrique est un continent d’un milliard d’âmes. L’Inde, d’un milliard cent millions. Le revenu moyen annuel par habitant en Afrique est de plus ou moins huit cents dollars (avec des pointes à deux mille cinq cents dollars, en moyenne, au Maghreb et en Afrique du Sud). En Inde, le revenu par habitant est, disons, de mille dollars. Mais certaines régions sont d’une pauvreté absolue (plus de trois cents millions d’Indiens vivent avec moins d'un dollar par jour), la hiérarchie sociale est moyenâgeuse, les violences ethniques ou religieuses, permanentes. Alors pourquoi l’Inde est-elle émergente ? C’est une démocratie, et ça aide. Mais surtout la dynamique de croissance est drivée par une « India One », par quelques millions de personnes qui vivent quasiment comme en Europe ou aux États-Unis. Et qui s’appuient sur une « petite » classe moyenne de deux cents millions d’individus qui ont un job et peuvent petit à petit emprunter, investir…
« Africa One » commence à émerger. Ils sont là, peut-être pas par centaines de millions, mais quand même. C’est à eux, ces quelques millions d’Africains qui ont des ressources, des idées, des revenus, des entreprises, de tirer le reste, de fédérer les énergies, de se porter créateurs d’avenir.

Chronique [ L’air du Temps ] de Zyad Limam parue dans le numéro 291/292 (décembre 2009 / janvier 2010) d’Afrique magazine.