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AÏSSA MAÏGA « JE NE ME VIS PAS COMME UN SYMBOLE »

Par Michael.AYORINDE - Publié en septembre 2013
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EN QUELQUES SEMAINES SUR LES ÉCRANS, elle est passée d’Abidjan vu par Alain Gomis (Aujourd’hui) à l’univers de Boris Vian revisité par Michel Gondry (L’Écume des jours), tout en récoltant le prix de la meilleure interprétation féminine au dernier Festival des créations télévisuelles de Luchon (pour Mortel Été, bientôt sur France 3). De retour de Cannes, où on l’a vue monter les marches, mais aussi exercer ses nouveaux talents de productrice, la voilà bientôt à l’affiche…d’un dessin animé : l’adaptation d’Aya de Yopougon ! C’est en effet Aïssa Maïga que Marguerite Abouet, l’auteure de la célèbre BD francoivoirienne, a choisie pour être la voix de son personnage dans un film d’animation qui sortira en salles le mois prochain… Rencontre avec l’une des rares comédiennes noires (d’origine sénégalo-malienne) qui tiennent le haut du pavé du cinéma français, le poing serré mais le sourire enjôleur.

AM : Vous voilà dans un nouveau film, un dessin animé, où on ne vous voit pas : c’est frustrant ! Pour vous aussi ?

C’est une bonne nouvelle si c’est frustrant pour vous ! Pour moi, ce n’était que du bonheur, étant fan de la première heure d’Aya, et en plus complètement perméable à l’humour de Marguerite [Abouet, NDLR] et à la sensibilité, au trait, de Clément [Oubrerie]. Un énorme cadeau.

C’est une plongée dans l’Afrique des années 1970 que vous n’avez pas connue, celle de vos parents ?

Je ne l’ai pas connue mais elle m’a vue naître ! C’est une période qui me parle à beaucoup d’égards, pour son esprit libertaire, d’utopie très vivante, notamment en ce qui concerne notre continent : il y avait des rêves encore très présents, incarnés politiquement, une misère dont on pensait qu’elle allait bientôt être derrière nous, un métissage culturel très riche. Les luttes anticoloniales étaient encore toutes proches. Et puis il y a des musiques, surtout des sons, des styles vestimentaires, capillaires…

Vous êtes aussi dans le cinéma africain : chez Alain Gomis (Aujourd’hui), chez Mahamat-Saleh Haroun (Sexe, gombo et beurre salé), qui était d’ailleurs le seul du continent en compétition à Cannes cette année…

Ils sont toujours seuls : Abderrahmane Sissako aussi était seul il y a quelques années, Cissé l’a été, Ouedraogo… Ils ont tous dû développer des armes, des stratégies de survie, devenir producteurs, leur propre auteur, parfois même se débrouiller pour agir sur la diffusion de leurs films en Afrique… Ils ont dû aiguiser leur discours pour ne pas se faire enfermer dans le rôle du cinéaste africain dinosaure hors du monde, hors du temps. Haroun s’est sans doute senti seul ; en même temps, Cannes, c’est aussi la reconnaissance d’un talent, d’une forme de longévité, ce qui lui arrive aujourd’hui est fantastique. Et puis surtout je pense qu’il y a des synergies à créer aujourd’hui : les cinéastes du continent ne sont pas uniquement africains.

Ils sont aussi français, européens, parfois très connectés avec les États-Unis. Danny Glover a coproduit Bamako par exemple. Je pense que dans le cas de Haroun, d’Alain Gomis ou de Fanta Régina Nacro, dont je n’ai pas entendu parler depuis des années (parlons des femmes aussi !), il y a des ponts à construire au sein de l’industrie mondiale avec des gens de la diaspora. Aujourd’hui, quand je vois un Forest Whitaker faire partie d’une coproduction franco-américaine tournée en Afrique du Sud (Zulu,de Jérôme Salle, en clôture du Festival de Cannes), et que dans le même temps je vois qu’il y a un accord de coproductions bilatérales entre l’Afrique du Sud et le Kenya, je me dis qu’il y a des choses à faire.

Il y a quelques années, l’absence de comédiens noirs dans les films français faisait débat. Aujourd’hui, on voit que les rôles qu’on vous propose ne sont pas en fonction de votre couleur de peau. C’est une victoire ?

Vous me donnez un rôle que, par honnêteté, je ne peux pas revendiquer. C’est un faisceau de phénomènes qui fait qu’une société change, ça ne peut pas être le fruit du combat d’une personne. Je ne me vis pas comme un symbole. En revanche, je pense que pour des tas de raisons qui sont à la fois d’ordre social, symbolique, économique, politique, artistique, générationnel, à un certain moment, ma parole a eu un écho et a touché certaines personnes dans le cinéma. Mais ça reste des épiphénomènes. Je ne sens pas que ma présence soit devenue une évidence, ça reste encore accidentel. Les accidents se rapprochent, je m’en réjouis…

Tout de même, vous êtes la compagne de Romain Duris dans L’Âge d’homme, on pense à vous pour incarner un personnage d’un classique de la littérature française (L’Écume des jours)…

Si, si, ça avance, ça évolue, mais on n’a pas fini de prendre notre place, ah, mais comment vous dire…

C’est toujours un combat ?

Un combat, non. C’est au-delà du combat, au-delà des armes. Je n’ai pas dit mon dernier mot, et je ne suis pas la seule. On n’a pas fini avec nous ! (Rires.)

Vous êtes aussi réalisatrice…

Pas encore. Je suis à la fin du scénario que j’écris depuis un nombre d’années que je ne cite plus (Il faut quitter Bamako). J’arrive au bout d’un très, très long processus pour moi, l’écriture c’est quelque chose de complexe… Et en même temps je me lance dans la production et ça fait du bien : je viens de produire mon premier court-métrage à Cannes.

Quel est son scénario ?

Il est écrit par un jeune auteur qui s’appelle Anton Solnitzki. Quand il est venu nous voir il y a un peu plus d’un an, il rêvait de faire ce film sur un fan de Steven Spielberg, et dans un coin du scénario il avait logé l’idée que le réalisateur était à Cannes. Nous pensions que c’était impossible d’organiser un truc pareil. Nous avons tourné une partie du film pendant le Festival, avec très peu de moyens…

Avez-vous réussi à avoir Spielberg devant la caméra ?

C’est la surprise !

Par Jean-Marie CHAZEAU