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Parcours

Alioune Ifra Ndiaye : de la scène à l'engagement politique

Par Sabine.CESSOU - Publié en septembre 2017
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Dramaturge et producteur malien, fondateur de la troupe BlonBa, il perpétue l’art théâtral traditionnel du kotéba. Créateur culturel et inlassable pourfendeur des fléaux de la société, il envisage, à 47 ans, de mobiliser les jeunes afin qu'ils prennent leur destin en main.
 
Fils de gendarme, Alioune Ifra Ndiaye n’est pas un Malien comme les autres : son franc-parler, dans ses pièces comme dans la vie, lui vaut beaucoup d’admirateurs, mais aussi quelques ennemis. Capable, fait rare au Mali, de dire qu’il ne prie pas dans les règles de l’islam, il affiche son animisme et ne se gêne pas pour critiquer le « travestissement » de sa société. Il a étudié le cinéma à Montréal, inspiré par Souleymane Cissé, son aîné. Mais très vite, il renonce à cette voie, lorsqu’il comprend qu’il va dépendre de subventions. Férocement indépendant, nationaliste dans la pratique plutôt que dans les discours, Alioune Ifra Ndiaye n’est pas homme à faire de compromis.

Après des études d’ingénierie culturelle à la Sorbonne nouvelle, à Paris, il monte en 1998, avec son ami Jean-Louis Sagot-Duvauroux, philosophe et écrivain français, un « Malien de coeur » qui parle le bambara, la troupe du BlonBa. Ouvert en 2007, son espace culturel BlonBa, seule alternative au Centre culturel français (CCF), a fermé après le coup d’État de mars 2012 et la grave crise qui a suivi. Il ne s’avoue pas vaincu pour autant : il a rouvert en juillet dernier dans un espace encore plus grand.

En marge de ces activités, il se forme aux derniers logiciels de montage à Paris, participe à des productions télévisuelles et offre ses services de consultant, au Tchad notamment, pour restructurer des chaînes existantes. La télévision, c’est l’un des chevaux de bataille d’Alioune Ifra Ndiaye. Il a envoyé sa candidature en 2012 pour le poste de directeur général de la chaîne publique nationale. L’Office de radiodiffusion télévision du Mali (ORTM) ne l’a pas retenu. Qu’à cela ne tienne. En 2013, il construit sur fonds propres, sur la plus haute colline de Bamako, dans le quartier populaire de Kalabancoro-Adeken, le siège de sa chaîne privée, qu’il veut axée sur la citoyenneté et financée par le public.

Son nom : Wôklôni, qui désigne les lutins de la mythologie mandingue et, par extension, les personnages de dessins animés. Son investissement de 800 millions de francs CFA aura du mal à être amorti, puisque la licence qu’il espérait des autorités ne lui a jamais été octroyée. Les politiques se méfient de lui, et de son impact potentiellement subversif… Et pour cause. Après le coup d’État de 2012, il a monté un spectacle intitulé Taynibougou, « la cité des profiteurs », pour faire réfléchir le public sur le niveau atteint par la corruption. Un fléau toujours lancinant au Mali. Lassé de voir la crise durer dans son pays, qu’il quitte tous les deux mois pour « ne pas devenir fou », il est plus que jamais déterminé à mener des actions citoyennes.

« La société elle-même est en faute, dit-il. Le corps social n’est pas construit, personne n’est jamais responsable de rien. Le Mali ressemble au samasogo – l’éléphant sur le dos duquel on se nourrit, sans se soucier de son état de santé. »

Charge féroce contre la corruption, « Ala te sunogo - Dieu ne dort pas », le dernier spectacle de sa compagnie, allie danse contemporaine et ressorts burlesques.

Cohérent avec lui-même, il va  lancer dans les semaines qui viennent un mouvement politique, Wele Wele – « l’appel » en bamanan. Son objectif : mobiliser les jeunes, sur tout le territoire national, pour qu’ils s’occupent eux-mêmes des affaires de la cité et se présentent aux élections municipales, régionales et nationales. L’objectif : injecter du sang neuf et renouveler les élites par le bas. Une idée qui risque fort de faire mouche. Après tout, Alioune Ifra Ndiaye l’a maintes fois prouvé : on n’est jamais mieux servi que par soi-même.