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Ambitions : les choix de la France

Par zlimam - Publié en février 2011
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Quelle est aujourd'hui l'ambition de la France sur la scène mondiale ? Pourquoi revenir dans une organisation sous influence américaine et renoncer de facto à une part, rare, d'indépendance diplomatique ? Ce qui fait (ou faisait) la France, c'est malgré tout cette capacité de différence. Sur l'Irak récemment, sur le Moyen-Orient, sur les rapports Nord-Sud. C'est cette capacité de traiter presque d'égal à égal avec les superpuissances, d'être capable, une fois de temps en temps, de dire m... au président des États-Unis.
Dans ce retour au sein de l'OTAN, il y a une volonté plus ou moins consciente de s'approcher du cœur de la décision, de faire partie du système des « dominants ». Mais il y a aussi la fin de la marge de manœuvre française, unique dans le monde occidental et qui faisait justement sa « grandeur ». Une « grandeur » déjà mise à mal par le désintérêt inexplicable pour la francophonie, zone naturelle d'expansion des « Bleus ». Pas la Méditerranée, pas ceci ou cela, mais la vraie francophonie, aux portes de Marseille, celle du Maghreb (près de 90 millions d'habitants) et celle de l'Afrique subsaharienne (115 millions de francophones). Pourquoi délaisser ce formidable bassin d'influence, de business, de relations, distendre ce lien stratégique de proximité ? Certes, l'Afrique, ce n'est pas New York ou Shanghai, ce n'est pas le conflit moyen-oriental, c'est moins glamour que les sommets du G7 ou du G20, mais, pour la France, le potentiel et les intérêts de ce voisinage naturel et historique sont au moins aussi importants. On dit qu'au fond, Nicolas Sarkozy ne s'intéresse pas beaucoup à ce monde-là, trop loin de son « atlantisme intellectuel », de sa culture politique, qu'il s'en méfie aussi (procès, affaires...). Et qu'au palais, le grand chargé des affaires de proximité, c'est maintenant Claude Guéant, secrétaire général de l'Élysée...

Maghreb : l'Europe évidente
Discussion récurrente avec mes amis tunisiens, marocains et algériens. Il y a chez eux et vis-à-vis de l'Europe une immense déception, légitime en grande partie. Dans les opinions publiques maghrébines, on a renoncé au « Nord », symbolisé par une politique essentiellement sécuritaire (et souvent absurde) de visas. On perd l'usage des langues européennes, on s'imagine Cairote ou Palestinien, on rêve d'une islamo-arabité pure, souvent mythifiée et en résistance contre l'Occident... Je ne crois pas à ce chemin de l'Orient. Quelle modernité peut-on y trouver ? Celle de l'Égypte, de l'Arabie saoudite, celle du conservatisme pétrolier des pays du Golfe ? Nous avons notre environnement. Nous sommes au flanc sud de l'Union européenne, premier espace commercial de la planète, zone la plus riche par habitant de l'humanité. Notre intérêt bien compris, notre chance, tout en tenant compte des égoïsmes de nos puissants voisins, c'est de nous arrimer le mieux possible à leur sphère de croissance. Le Maghreb est arabe et musulman (très majoritairement), cela ne l'empêche pas de parler français, anglais, italien ou espagnol. Comment sortir de la pauvreté relative, sans l'économie de la superpuissance européenne ? Qui achète nos textiles, nos produits agricoles, nos pièces détachées, qui vient en vacances chez nous, qui se fournit en pétrole et en matières premières ? Qui finance nos projets ? Qui absorbe, malgré tout, une partie de notre émigration ? Qui peut, d'une manière ou d'une autre, nous servir d'appui dans nos processus de démocratisation ? Évidemment, à ce chemin de l'Europe devrait s'ajouter un chemin du Maghreb. La vraie modernité, le vrai progrès, la vraie audace, ce serait d'entamer vraiment la mise en place d'une Union maghrébine, et de pouvoir parler d'une voix plus forte, justement, vis-à-vis de ces amis du Nord.

USA : cinq semaines et quelques...
Promis, on ne fera pas de couverture Obama avant quelques mois... Cela n'empêche pas de s'intéresser aux premiers pas du nouveau président des États-Unis. Ce qui frappe, c'est l'aisance, l'assurance, la cool attitude d'un homme confronté à la fois à la complexité du pouvoir suprême, à la complexité de l'Amérique et à la complexité d'une crise économique sans précédent. Obama est devenu président, naturellement, comme si c'était une évidence. En moins de cinq semaines, il a fait voter un plan de sauvetage économique unique par ses proportions, a annoncé un retrait d'Irak pour 2010 et la fermeture progressive de Guantanamo... Mister Obama is very good. Mais ce n'est pas parce qu'il est métis, que son père est Kényan, ce n'est pas parce qu'il nous ressemble qu'il ne faudra pas être exigeant avec lui et la nouvelle Amérique, ouverte et généreuse, qu'il nous promet. Certains signes devraient inciter à la prudence. Le Département de la Justice veut bien s'occuper des prisonniers de Guantanamo, mais pas de ceux de Bagram (en Afghanistan), qui, eux, n'ont toujours aucun droit. On condamne la torture, mais on sent une ambivalence sur l'héritage des années Bush en matière de lutte antiterroriste. On attend une grande initiative sur le monde musulman, sur le dossier palestinien, sur l'Afrique... On attend un vrai virage, une rupture avec les années Bush. On ne se laissera pas séduire uniquement par son charisme et sa classe. Et on va prier aussi pour que « le système », cette coalition d'intérêts économico-politico-idéologiques, cette coalition des élites, ce makhzen à l'américaine en quelque sorte, ne vienne pas paralyser le mandat du 44e président des États-Unis.

XXIe siècle : la grande crise… Suite
Ce qui est fascinant et extrêmement inquiétant avec la crise que nous vivons, c'est son aspect multidimensionnel et globalisé. Personne n'est à l'abri. Aucun secteur, aucun pays. Les riches et les pauvres, tout le monde dans le même sac. La débâcle financière est loin d'être réglée. Le modèle spéculatif, la haute finance, cette illusion de rendements à 15 % et plus, ce monde de milliardaires, d'avions privés et d'hôtels quinze étoiles est mort (pour le moment...). Les grandes banques sont toujours aussi malades, leur nationalisation est à l'ordre du jour. Les choses étant liées, la demande s'est effondrée. À la crise financière s'est ajoutée une crise industrielle. Automobiles, machines-outils, produits de consommation, tout est à la casse ou presque... Dans ce chaos, les matières premières, le pétrole en premier lieu, ont suivi la spirale baissière. Les pétrocraties (Russie, Iran, Venezuela...) n'en mènent pas large, mais elles ne sont pas les seules. Les grands pays émergents, le Brésil, la Chine, l'Indonésie, etc., sont déstabilisés. Les modèles de croissance basés sur l'exportation s'effondrent. Pour survivre, il va leur falloir se tourner vers leurs marchés intérieurs. Qui ont vécu une véritable révolution. Depuis la fin des années 1980, près de deux milliards de terriens sont devenus des « bourgeois ». Aujourd'hui, la moitié du monde en développement est peuplée de middle class income people. Ces gens consomment plus, mais surtout, ils pensent différemment. Ils induisent une nouvelle approche de l'éducation, de l'égalité homme-femme. Ils sont un facteur de démocratisation et de stabilité politique. Avec la crise, ceux qui sont sortis de la pauvreté sont menacés d'y retourner avec les conséquences sociales et politiques incalculables que l'on peut imaginer. La compétition entre les pays du Nord et du Sud, pour les ressources, risque donc de s'exacerber. Sans vouloir noircir le tableau, il faudrait aussi parler de la formidable crise écologique qui nous menace tous. Le réchauffement climatique est une réalité. L'épuisement des ressources de la planète est une réalité. Le problème de sécurité alimentaire, de surpopulation, d'accès à l'eau, tout cela, c'est la réalité. La demande de gouvernance globale va s'intensifier sans que l'on sache vraiment comment y répondre. On sent bien que l'on vit une époque charnière, un moment réellement d'histoire, où l'humanité va devoir inventer un modèle nouveau de croissance et de survie communes.

Chronique [ L’air du Temps ] de Zyad Limam parue dans le numéro 282 (mars 2009) d'Afrique magazine.