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MURAD, Vue aérienne. INUI
MURAD, Vue aérienne. INUI
Architecture

Au Bénin, Françoise N'Thépé conçoit le Musée des Rois et des Amazones du Danxomè

Par Iris Vertanessian
Publié le 27 février 2025 à 10h00
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Portrait de l'architecte. MARJOLIJN DE GROOT
Portrait de l'architecte. MARJOLIJN DE GROOT

​​​​​​​« Qu’est-ce que le sacré ? Qu’est-ce que, pour moi, le sacré ? Quels sont ces objets, ces lieux, ces circonstances qui éveillent en moi ce mélange de crainte et d’attachement ? Cette attitude ambiguë qu’engendre l'approche d’une chose à la fois attirante et dangereuse, prestigieuse et rejetée… cette mixture de respect et de terreur. »

Ces mots de Michel Leiris, issus de son essai Le Sacré dans la vie quotidienne, sont ceux que choisit Françoise N'Thépé lorsqu’elle veut parler de ce qu’elle ressent en pénétrant sur le site des Palais Royaux d’Abomey au Bénin.

La tâche est ardue pour cette architecte franco-camerounaise, en charge de la construction du futur musée national sur le site royal d'Abomey : trouver sa place parmi ces éléments historiques déjà en place et introduire la démarche contemporaine adéquate sur un site protégé par l’UNESCO depuis 1985. Née à Douala, l'architecte parisienne  a ouvert son agence en 2018 (Francoise N’thepe Architecture & Design) à Paris.  Lauréate du prix 100 Femmes de Culture 2024 et lauréate des femmes architectes en 2023, c’est un projet-clé :  « pas le plus grand en volume, mais le plus grand pour ce qu’il représente ».

Le décor est à la fois idyllique et impressionnant : une cité royale située au cœur de l’ancienne capitale historique, et pourtant « hors du monde », confie l’architecte. Hors du temps aussi, puisque ses murailles en terre rouge dominent la ville depuis quatre siècles. De cet ancien royaume mythique, il demeure aujourd’hui 47 hectares de terrain et quatre palais, eux aussi inscrits sur les listes du patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 1985.

L’UNESCO, dès le départ, dans son cahier des charges pour le futur projet, mentionne l’importance que les palais soient restaurés. L’un des enjeux initiaux pour l’architecte est donc de présenter un projet global, mêlant restauration et construction du musée. C’est Aimé Paul Gonçalves, président de l'Ordre National des Architectes et Urbanistes du Bénin et directeur de l’agence 2AP, qui prend en charge cette partie du projet. Les toits en chaume seront bientôt restaurés à l’identique, afin de retrouver le palais historique.

Site, vue aérienne.DR-F. N'THEPE
Site, vue aérienne.DR-F. N'THEPE

La revalorisation de cet écrin de 47 hectares s’inscrit dans l’ambitieux programme Bénin révélé, que porte Patrice Talon depuis 2017. Ambitieux par son investissement, puisque le Bénin s’engage dans la création de quatre nouveaux musées pour développer le tourisme culturel et revaloriser son patrimoine. Le projet le plus imposant sera ce Musée des Rois et des Amazones du Danxomè, qui doit accueillir 26 œuvres restituées par la France mais aussi une collection de quelque 350 objets. Le chantier du musée est estimé à 50 millions d’euros, et l’État, qui s’est engagé à hauteur de 10 millions d’euros, doit emprunter également 25 millions d’euros à l’Agence française de développement (AFD).

Palais 2.DR-F. N'THEPE
Palais 2.DR-F. N'THEPE

La Cour des Amazones, pièce emblématique du site d’Abomey, servait, au temps des dynasties royales, de lieu d’entraînement aux amazones, défenseuses des palais. Devenu aujourd’hui un espace de vie, ce sont deux hectares régulièrement traversés par le public. Aucun anachronisme donc, lorsqu'on souligne avec l’architecte la dimension sacrée du lieu, puisqu'il accueille aujourd’hui régulièrement des cérémonies cultuelles pour les descendants royaux.

Euloge Glélé et les armoiries royales.EULOGE GLELE
Euloge Glélé et les armoiries royales.EULOGE GLELE

​​​​​​​L'utilisation des motifs des armoiries royales au sein du musée est d’ailleurs un sujet délicat. « J’ai demandé à un artiste de retravailler chaque emblème royal, c’est un descendant lui-même. Ils ont chacun leur symbole, et c’est quelque chose que je voudrais utiliser dans le musée pour faire des bas-reliefs, mais c’est un sujet sensible. Ce n’est pas à moi de choisir».

Au départ, elle a d'abord réfléchi au rapport au sol. L'idée des seuils successifs, qui structurent les différentes cours, lui confère cette impression de progression qui deviendra essentielle dans la narration de son projet. « Historiquement, c’était une cour publique où les gens circulaient et commerçaient, une deuxième cour où le roi pouvait recevoir, et une troisième cour : les espaces privés des rois et des reines. »

Elle propose un bâtiment bioclimatique, un défi lorsqu’on sait qu’un musée doit répondre à de nombreuses normes pour assurer la conservation des trésors qu’il protège. Il faut aussi garantir le confort des visiteurs : normalement, la température doit être maintenue autour de 21-22 degrés, selon des standards stricts qui ne font pas toujours sens pour elle : « Est-ce qu’on va garder des normes européennes pour un projet en Afrique ? ». S’ensuivent de nombreux échanges avec des experts en muséographie et le bureau d’études environnementales pour trouver le bon équilibre : concevoir un bâtiment peu énergivore et limiter autant que possible la climatisation. « Si j’avais pu, j’aurais fait le musée sans clim du tout. », elle plaisante à moitié.

Finalement, un compromis est trouvé. Le secret, ce sont deux éléments-clés qui permettent à l’architecte de concevoir un musée béninois presque sans climatisation : une terre crue, utilisée dans ses techniques les plus avancées, et la ventilation naturelle. « On a eu des battles d’experts environnementaux à coups de calculs thermiques et autres, en imaginant les possibilités d’usage optimales, mais on s’est tous mis d’accord. ». Des brasseurs d’air favoriseront une ventilation naturelle, mais c’est surtout l’implantation du bâtiment qui est pensée pour tirer profit des vents dominants. « L’enveloppe – les murs et les toitures – est conçue pour travailler en synergie avec le vent. Un mur à double épaisseur favorise la ventilation d’une lame d’air, tandis que les apports de chaleur sont freinés dans la journée ». Elle détaille le dossier : « La toiture est ventilée », pointant du doigt un dessin de ses tuiles en terre cuite. « Elles sont légèrement décollées ici, ce qui permet à l’air de circuler. ».

On l’aura compris, le projet avance lentement, porté par des ajustements méticuleux et des calculs précis. « Ce sont des techniques qui existent déjà en Afrique du Nord. Ce n’est pas une innovation en tant que telle, mais on les adapte. »  Ce que Françoise N'Thépé souligne fréquemment dans ses prises de parole, c’est justement la nécessité d’éviter deux écueils :  le vernaculaire à fond » et « l’hypermoderne ». Pour elle, « il y a un juste milieu à trouver et à adapter. ». Question de bon sens, selon elle, même si on travaille avec du matériau contemporain « on peut arriver à avoir des solutions innovantes et intelligentes qui répondent aux contextes ».

Le rendu manifeste l’intelligence formelle et  la sobriété du projet : une matérialité brute qui met en valeur la brique ocre. « Je ne suis pas trop dans la déco », concède l’architecte, sourire aux lèvres,  « Si je peux éviter de rajouter des couches et des couches… Et là, devant cette terre, pas besoin de peinture.». Travailler avec les savoir-faire locaux s’est aussi imposé comme une évidence. Mais la réalité du terrain est autre, le savoir-faire, justement, doit être réactualisé. Les artisans doivent se reformer à leurs propres pratiques : la technique de la brique, celle de la bauge, la terre coulée.  L’approche choisie par Françoise N'Thépé repose sur la brique de terre crue et des toitures en terre cuite, afin d’assurer la pérennité du bâtiment face aux pluies diluviennes qui balaient régulièrement Abomey.


Pour penser le musée, elle se fie aux murailles : « c’était ma première strate, la ligne qu’elles tracent ». Ensuite, de la brique, jusqu’à ces « chapeaux » – elle les appelle ainsi –, les toitures de son dessin, qui surplombent la cour des amazones. 
« Ça renvoie clairement à quelque chose du passé, l’imagerie du chapeau, même si ce n’est pas évident de trouver la bonne distance ni la bonne approche pour en parler », mais l’architecte ne se laisse pas avoir au piège de la controverse, elle maîtrise les enjeux politiques et historiques du projet, à l’instar du geste de restitution des oeuvres par la France, qu’elle aborde avec lucidité : 
« Ce musée est dédié à des œuvres issues d’une civilisation qu’on doit d’abord revaloriser. Mettre au coeur du projet cette restitution des 26 œuvres par la France, ça atténuait la portée de ce qui se passe ici. Quelque part ça met presque en valeur la restitution, le geste politique, plus que les œuvres elles-mêmes ».

En attendant la livraison, la mairie a d’ailleurs mis un accompagnement pour la population, pour leur permettre de suivre de plus près ce projet qu’ils attendent avec impatience.