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Editos

BBY, deux ans après

Par Zyad Limam - Publié en mai 2023
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Il avait 93 ans. Une vie sur presque un siècle. Béchir Ben Yahmed nous a quittés le lundi 3 mai 2021, il y a déjà deux ans, aux premières lueurs de l’aube, celle de la journée mondiale de la liberté de la presse, comme un ultime message. Victime des suites d’un Covid-19, dans un Paris entre deux confinements. BBY est parti fidèle à lui-même, conscient d’aborder son ultime voyage, pas- sant des coups de fil à ses amis, cherchant à avoir les idées claires, à être «debout». Jusqu’au bout.

C’était un homme à part, qui a su dépasser ses frontières, qui a vu grand, parfois trop, un homme fort, soucieux de son pouvoir, de son autorité et de sa liberté. Il a mené une vie de journaliste, d’éditorialiste et d’entre- preneur, cherchant à s’extraire des contraintes, menant sa barque souvent envers et contre tout.

BBY ne croyait pas beaucoup à la postérité de l’œuvre. Il se disait que l’humanité avance, que les gens oublient vite... Il avait déjà perdu beaucoup de ses amis, de ses compagnons du siècle justement, des personna- lités souvent flamboyantes et qui, pourtant, semblaient comme disparues quelque part dans un livre d’histoire, rangé sur l’étagère.

Pourtant, l’œuvre de BBY est toujours là, présente. Il a été l’homme d’une grande idée, improbable, cer- tainement « infaisable ». Un concept unique, à l’aube des indépendances. Faire un hebdomadaire pour toute l’Afrique, pour tout un continent à peine sorti des nuits coloniales. C’est l’aventure d’Afrique Action et de Jeune Afrique. Et aussi celle d’Afrique Magazine, créé en décembre 1983.

BÉCHIR BEN YAHMED J’ASSUME Les Mémoires du fondateur de Jeune Afrique, éditions du Rocher.
BÉCHIR BEN YAHMED J’ASSUME Les Mémoires du fondateur de Jeune Afrique, éditions du Rocher.

Il aura été lui-même un acteur de l’histoire, l’un des tout premiers à incarner ce concept révolutionnaire, puissant, d’une Afrique libérée, au cœur du monde, en charge de son destin. L’un des premiers tisserands du panafricanisme réel, avec cette idée que tous les peuples, au nord et au sud du Sahara, malgré leurs diffé- rences, partageaient un destin commun face aux puis- sances dominantes. Il aura été le seul patron de presse tunisien, arabe et africain de son époque à se construire une audience internationale, à être lu et écouté aux quatre coins de la planète. Un militant de l’émancipation des « Suds » qui aura dépassé ses frontières, inspiré des centaines de jeunes journalistes. Une œuvre justement sur près de six décennies qui a contribué à la prise de conscience d’une multitude d’entre nous.

Ces fameux éditos, les «Ce que je crois» sont là, la plupart encore avec acuité. BBY n’hésite pas à y être ico- noclaste, à assumer son contre-regard et sa subjectivité. Avec cette curiosité étonnante qui peut l’entraîner sur tous les chemins, la science, la géopolitique, la démo- graphie, la religion, la fin de vie...

Et puis, il y a le livre aussi, J’assume, sorti en juin 2021, toujours dans le tumulte des années Covid. À la fois des mémoires et une tentative d’autoportrait. Un BBY tel qu’il est, soucieux de «dire» avec ses sincérités, ses contradictions, ses ambi- guïtés. Un roman personnel également, celui d’un entre- preneur aussi perspicace qu’aventureux, qui pensait que seule la persévérance pouvait mener au succès.

Et il y a surtout ce témoignage historique, ce regard incisif, « sans fausse diplomatie », sur le monde tel qu’il était, tel qu’il est, et tel qu’il pourrait devenir. Ce livre reste indispensable, pour les jeunes et les moins jeunes. Au fil des pages, on revit les indépendances, les espoirs et les désillusions de l’Afrique contemporaine, les convulsions du monde, on retrouve ceux qui ont fait et qui font notre histoire. Bourguiba, Houphouët-Boigny, Lumumba, Che Guevara, Hô Chi Minh, Senghor, Foc- cart, Mitterrand, Omar Bongo, Hassan II, Alassane Ouat- tara, et tant d’autres... On se sent partie prenante du récit, de cette Afrique en mouvement.

Le temps passe certainement. Mais l’œuvre de BBY reste. Dans cette époque bouleversée, où les liber- tés sont constamment remises en cause, Béchir Ben Yahmed nous rappelle l’importance du témoignage, du métier de journaliste, de la nécessité de la libre- pensée et de la libre expression. Dans cette époque où le développement et l’émergence des « Suds » restent une bataille largement inachevée, il nous rappelle tou- jours, aujourd’hui encore, l’importance de l’ambition, de l’indépendance et de la souveraineté.

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