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Mon carnet de route

Beyrouth

Par IBRAHIM MAALOUF - Publié en décembre 2015
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Enfant, il voulait devenir architecte pour reconstruire cette ville dévastée par la guerre. Puis à l’adolescence,il lui a composé le superbe morceau « Beyrouth ». Partageant sa vie entre Paris, New York et le Liban, le trompettiste français nous présente sa ville natale.

Quartier du musée de Beyrouth.
Ma grand-mère et mon grand-père (grand journaliste et musicologue), ont loué pendant plus de cinquante ans un appartement à côté du musée de Beyrouth (photo ci-dessus, statuettes phéniciennes). Il y a quatre ans, malgré toutes les pétitions, leur immeuble a été détruit pour construire un centre commercial. Ça nous a déchiré le cœur. Nous y avions tous de merveilleux souvenirs. Le contexte social et économique du Liban a beau être désastreux, malgré tout, l’argent s’impose. C’est dingue, un centre commercial dans un pays qui n’a pas connu la paix depuis des décennies ! C’est un projet qui fonctionne apparemment, la vie continue…
 

Bourj Hammoud.
J’aime l’âme et l’ambiance très vivante de ce quartier arménien, en banlieue proche de Beyrouth. C’est souvent là-bas que je vais avec des amis pour boire un verre ou déjeuner. La communauté arménienne a toujours été une force et un espoir pour le pays. Il y a eu un vrai apport culturel qu’on a tendance à oublier. J’aime l’ouverture d’esprit de ses habitants, leur liberté. Ils sont modernes, généreux, détendus. Le Liban a gagné en apaisement en accueillant ces populations. La diversité culturelle est une richesse, ça nourrit la vie. Je ne dis pas ça parce que je suis d’origine libanaise car je me considère français à part entière. Mais face à ces débats actuels nauséabonds sur les migrants, c’est important de rappeler que la culture libanaise est constituée de populations venues d’ailleurs qui ont amené leurs différences, et qui influent positivement sur l’équilibre de la société.
 

Quartier chrétien d’Achrafieh.
Ma famille avait un appartement dans ce quartier. De la place Sassine, il y a un escalier qui monte vers une école de filles, et enfant, j’y passais pas mal de temps ! Plus sérieusement, les femmes ont toujours joué un rôle fondateur dans mon histoire. Ma mère, ma tante, ma grand-mère… J’admire leur force, leur luminosité malgré les difficultés de l’existence. J’ai voulu leur rendre hommage avec mon dernier album, Red & Black Light. Sur mon autre disque, Kalthoum, dédié aux femmes qui ont marqué l’histoire, je revisite une œuvre d’Oum Kalthoum. Sa musique a bercé mon enfance, avec celle bien sûr de la diva libanaise Fairuz.
 

Raouché, baie de Manara.
Le nom de ce site vient du mot français « rocher ». C’est particulièrement sublime au crépuscule, quand le soleil se couche dans la Méditerranée. La corniche est une belle promenade, fréquentée par beaucoup de Beyrouthins, venus se détendre. Le rythme de vie des gens est hallucinant dans cette ville, ils ont tous deux ou trois métiers, et sont lancés dans une course effrénée au travail, à l’argent. Il n’y a pas le choix, c’est la survie. Une vraie jungle, comme New York. Mais j’aime aussi cette effervescence, elle nous rappelle l’importance d’être vivant. Paris est beaucoup plus sereine, mais on se plaint toujours alors qu’on devrait en profiter plus. Ici, on trime, c’est tellement dur qu’on n’a pas le temps de râler ! Pourtant, je trouve les habitants beaucoup moins dépressifs que les Parisiens. Sur le fil du rasoir en permanence, ils gardent en vue l’essentiel : se battre pour la vie.
 

Kfar Aaqqa.
C’est le village de montagne où mon père a grandi. Enfant, il remarque que l’orchestre à la française du coin joue faux les folklores libanais à la trompette. À 24 ans, il se rend à Paris pour apprendre cet instrument, notamment auprès de Maurice André. Il invente la trompette arabe, en ajoutant un quatrième piston pour jouer les quarts de tons. C’est lui qui m’a donné envie de faire de la musique. C’était aussi un moyen de me rapprocher de lui. Mais son enseignement était très exigeant. Il fallait que je le dépasse, que je sois meilleur, pour « tuer le père » comme on dit.
 

Le Music Hall.
C’est un club de concert en plein centre-ville. C’est là que j’ai présenté pour la première fois au Liban mes musiques originales, avec mon groupe, en 2008. La moitié de la salle était remplie de membres de ma famille, qui ne m’avaient pas vu sur scène depuis des années. J’en garde un souvenir fabuleux. Plus jeune, j’avais déjà eu la chance de jouer à Beyrouth pour accompagner mon père Nassim Maalouf, très célèbre, mais c’était pour interpréter sa musique ou du classique. Le Music Hall était donc l’aboutissement en public de mon travail personnel.