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BISO 2025 - SBA- Fatim SOUMARÉ SENEGAL, Flan Flakē, Fitla. Je demande la route 2025 ( La route des caravanes). DR
BISO 2025 - SBA- Fatim SOUMARÉ SENEGAL, Flan Flakē, Fitla. Je demande la route 2025 ( La route des caravanes). DR
Burkina Faso

BISO 2025:
La culture en première ligne

Par Shiran Ben Abderrazak
Publié le 12 décembre 2025 à 15h01
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Pour sa 4ᵉ édition, du 20 au 24 novembre, la Biennale internationale de sculpture de Ouagadougou (BISO) s’est tenue dans une capitale sous tension, entre crise sécuritaire, économie exsangue et des nuits un peu plus courtes…

BISO 2025 - SBA - Kais DHIFI, Tunisie, CODEX METALIA (Pax Africana). DR
BISO 2025 - SBA - Kais DHIFI, Tunisie, CODEX METALIA (Pax Africana). DR

Soutenue par la Fondation Gandur pour l’Art, la délégation de l’Union européenne, l’ONG Solidarité Laïque et le ministère burkinabè de la Culture et des Arts, la biennale a rassemblé artistes, artisans, officiels et acteurs du monde de l’art. Dans la poussière omniprésente, les mobylettes, les maquis et les entrepreneurs racontent une autre histoire : celle d’une ville qui continue de travailler, de créer et de tenir debout grâce à la culture. 

Dans la fin de l’après-midi, la poussière de Ouagadougou se lève comme une brume ocre. Elle tapisse les vitrines, se dépose sur les étals, s’infiltre dans les poumons et les conversations. Les mobylettes, par vagues continues, encombrent les carrefours et l’on devine à peine les visages derrière les masques en tissu et les lunettes fumées. Sur les murs, les slogans et les fresques patriotiques, veillent sur une ville qui travaille, marchande, plaisante, malgré tout.

Ouagadougou ne se résume ni aux cartes d’alerte sécuritaire ni aux communiqués du pouvoir. Dans les ateliers, les marchés, les petits commerces, une armée de Burkinabè laborieux, besogneux, patriotes, tient la ville à bout de bras. La plupart ne se réclament d’aucun grand discours : ils ont des salaires à gagner, des enfants à nourrir, des projets à mener. Loin de l’image catastrophiste véhiculée de l’extérieur, Ouaga avance et vit, dans un calme têtu et résilient. 

Lorsque la nuit vient, la poussière change de rôle. Elle devient filtre, halo autour des lampadaires, décor des maquis qui s’allument un à un. Au Taxis Brousse, institution de la nuit ouagalaise, les tables en plastique se remplissent plus tôt et se vident plus vite qu’avant, mais les rires restent sonores. On voit passer des employés de bureaux en chemise, des fonctionnaires, des ouvriers, des étudiants, des artistes. Plus loin, le Sport Bar, toujours là, accueille une petite foule de mélomanes autour d’un groupe live. Ouaga ne veille plus jusqu’à l’aube, mais elle ne renonce pas à sa vie nocturne. La Belle Étoile offre une belle alternative à la jeunesse ouagalaise qui veut une offre nocturne plus sophistiquée. 

C’est dans ce décor que s’est tenue la 4ᵉ édition de la Biennale internationale de sculpture de Ouagadougou (BISO). Née en 2019, la biennale a su, malgré un contexte sécuritaire et économique de plus en plus dur, maintenir le cap : treize artistes en résidence cette année, un mois de création avec des artisans burkinabè, et une exposition de clôture au Théâtre inachevé du Fespaco, espace atypique d’inspiration brutaliste et autour duquel planent superstitions et rumeurs. Si BISO existe encore, c’est grâce à un fragile équilibre : le soutien renouvelé de la Fondation Gandur pour l’Art, de la délégation de l’Union européenne au Burkina Faso, de l’ONG Solidarité Laïque et du ministère burkinabè de la Culture et des Arts, mais aussi la détermination de son équipe.

Un week-end d’ouverture sous le signe de la fête et de la diplomatie 

BISO 2025 - SBA-Ghizlane SAHLI MAROC, PAGA 2025 Détail 1. DR
BISO 2025 - SBA-Ghizlane SAH0LI MAROC, PAGA 2025 Détail 1. DR

Le week-end d’ouverture a donné la mesure de ce que représente BISO pour la ville. Sur l’esplanade du Théâtre inachevé, se croisent officiels burkinabè, représentants d’institutions internationales, diplomates, artistes, galeristes, journalistes, étudiants et simple public. La soirée de vernissage a l’allure d’un inventaire à la Prévert : complets impeccables à côté de boubous brodés, vestes en lin de collectionneurs, jeans délavés de jeunes créateurs. 

Sur scène, Nyaba Léon Ouédraogo, photographe et cofondateur de BISO avec le galeriste Christophe Person, remercient les partenaires « de la première heure » sans qui, reconnaissent-ils, la biennale n’aurait pas passé le cap de cette quatrième édition : « Dans un contexte économique morose, où les financements se raréfient, BISO est devenu un espace vital de production et de diffusion. Il fallait que cette édition voie le jour. » Autour de lui, les ambassadeurs discutent avec les artistes, les artisans prennent la pose, la scène culturelle ouagalaise se retrouve. Le temps d’un week-end, la coopération internationale et la ville s’observent, se mélangent, trinquent ensemble. Car BISO c’est aussi le Off, pendant lequel les différents espaces culturels de la capitale mettent en avant la création des artistes burkinabè, profitant du coup de projecteur et des visiteurs internationaux venus pour l’occasion.

« La culture, notre arme de construction massive » 

Pour beaucoup d’acteurs culturels de Ouaga, la tenue de BISO tient du signal : la ville n’a pas renoncé à la création. Irène Tassembo, danseuse, chorégraphe, promotrice culturelle, le dit avec une énergie presque contagieuse. Elle dirige une école de danse, porte un festival de danse qui fêtera bientôt sa 14ᵉ édition, prépare un festival de courts-métrages. « Un pays où tout est parfait, ça n’existe nulle part dans le monde », sourit-elle. « Ici, on continue de travailler. Je n’ai pas peur d’enseigner, pas peur de créer, pas peur d’organiser des festivals. Rien ne m’en empêche. » 

Revenue volontairement de France après vingt-six ans, elle insiste sur le décalage entre certains récits extérieurs et ce qu’elle vit au quotidien : « Parfois, quand je lis des articles sur le Burkina, je me demande de quel pays on parle. Toute ma famille est ici, je me sens utile à la jeunesse, à la transmission. Oui, il y a des problèmes, bien sûr. Mais alors, qu’est-ce qu’on fait ? On s’arrête ? Moi, je pense l’inverse : il faut continuer à rêver, et à travailler pour réaliser ces rêves. »

Sa formule claque, comme un manifeste : 
« La culture, c’est notre arme de construction massive. 
Nous, artistes, avons un rôle hyper important dans la vie politique, sociale, culturelle. Il ne faut pas lâcher. »

À la suite de BISO, Irène s’apprête à lancer la troisième édition de son festival de courts-métrages. Le calendrier culturel de Ouaga, malgré les contraintes, continue d’exister. 

Une ville créative en quête de lieux 

Pour Marie-Line O., artiste et entrepreneuse, la vitalité de la création à Ouagadougou se heurte à une autre frontière : celle des espaces et des moyens. Elle constate un assèchement des budgets, notamment ceux qui venaient d’ONG ou de partenaires étrangers : « La culture s’est forcément un peu affaissée. Il y a beaucoup moins d’argent injecté, moins de lieux qui programment régulièrement. » 

Elle évoque ces espaces où les artistes se retrouvaient autrefois, quelles que soient la qualité des expositions : « C’étaient des endroits où on discutait, on s’entraidait. Aujourd’hui, beaucoup ont fermé ou sont en sommeil faute de moyens. On n’a plus ces lieux de rassemblement, et ça manque énormément. »

Pour autant, la créatrice souligne l’émergence d’autres dynamiques : des artistes qui ont réussi à l’international reviennent et montent leurs propres espaces, des structures indépendantes expérimentent des modèles plus autonomes. « L’idéal, ce serait de ne plus dépendre uniquement des subventions ou des bailleurs, mais de construire des stratégies économiques viables. Ça demande du temps, de la réflexion, et surtout de se retrouver. Là, on est un peu dispersés. Peut-être qu’il fallait ce moment de repli pour que les choses se réinventent autrement. » 

Entre les maquis, les boutiques de créateurs, les petits ateliers de menuiserie et les incubateurs, une économie de la débrouille et de l’inventivité se dessine. Les entrepreneurs, qu’ils soient dans l’art, le textile, le numérique ou l’agroalimentaire, parlent tous d’opportunités : marché jeune, besoins énormes, place à prendre. Mais toujours avec la même prudence : la situation reste fragile. 

BISO, un souffle dans un contexte morose 

Dans ce contexte, BISO joue un rôle de respiration. Pour Nyaba Léon Ouédraogo, l’urgence est double : soutenir des artistes africains, en particulier burkinabè, souvent peu visibles sur la scène internationale, et redonner du souffle à un écosystème local fragilisé. « La sculpture africaine contemporaine est quasiment absente du paysage international », rappelle-t-il. « Avec BISO, on offre un espace de résidence, de production, de rencontre avec les artisans. Les artistes repartent avec de nouvelles techniques, une autre façon de voir. » 

La biennale est aussi un ballon d’oxygène économique. Pendant un mois, les ateliers tournent, le centre d’art se remplit, les hôtels et les maquis des environs travaillent mieux. Nyaba raconte cette anecdote, devenue pour lui un symbole : « Un artiste est entré dans une petite boutique, a acheté quelques pièces. La vendeuse lui a dit : “Grâce à ça, on va pouvoir manger aujourd’hui.” C’est simple, mais ça dit tout. La rupture économique est très dure en ce moment. BISO, modestement, remet un peu de circulation. »

Pour les artistes burkinabè, souvent « enclavés » dans un marché local exigu, la biennale crée des ponts. Critiques d’art, collectionneurs, curateurs viennent à Ouagadougou, rencontrent la scène, repèrent des talents. « Beaucoup me disent : ‘Grâce à BISO, j’ai pu retravailler, j’ai su que des gens allaient venir voir mes œuvres.’ » À travers le thème « Insoutenables frontières », Nyaba voit aussi un message adressé à ceux qui veulent « abattre le pays » : « C’est une manière de dire : nous sommes debout, nous continuons de nous battre, avec nos armes à nous. » 

Le regard d’une collection 

Côté partenaires internationaux, la Fondation Gandur pour l’Art n’a pas lâché BISO. Olivia Fahmy, curatrice en charge de la collection d’art contemporain africain et de la diaspora, insiste sur ce qui la séduit dans le projet : « Le fait de faire venir les artistes plusieurs semaines avant l’exposition, de les mettre en lien avec des artisans, de valoriser aussi le travail de ces artisans… C’est un angle qui nous parle beaucoup. » 

La fondation soutient la production, mais vient aussi à la rencontre de cette scène burkinabè, dans ce pays où l’engagement culturel prend une tonalité particulière. « Ce type de dispositif nourrit notre regard de collectionneurs et de curateurs », poursuit-elle. « On observe des œuvres qui naissent d’un dialogue entre savoir-faire locaux et recherches artistiques contemporaines. Cela influe sur nos choix d’acquisitions, mais aussi sur la façon dont on raconte ces œuvres ensuite. » 

Au petit matin, quand la poussière recommence à flotter au-dessus des grandes artères, Ouagadougou ressemble à une vaste sculpture en chantier. Les murs se couvrent de nouvelles enseignes, les mobylettes reprennent leur ballet, les maquis se vident de leurs dernières chaises, les ateliers rouvrent leurs portes. BISO fermera ses portes bien avant que le pays ait trouvé toutes ses réponses. Mais dans cette ville qui tient le cap, la culture reste une boussole : une « arme de construction massive » pour continuer à avancer, malgré les « insoutenables frontières » du moment.