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Parcours

Bonga

Par Astrid Krivian
Publié le 17 février 2022 à 07h16
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Voix emblématique du Semba et défenseur  infatigable de la culture de son pays, le chanteur et musicien angolais signe un nouvel album chatoyant, Kintal da Banda.

Nosa nciens nous ont appris notre histoire, notre philosophie, une résistance psychologique. » ALEX TOME
Nos anciens nous ont appris notre histoire, notre philosophie, une résistance psychologique. » ALEX TOME

Je suis un résistant culturel », annonce Bonga. Sa chanson « Kúdia Kuetu » (« notre gastronomie », en kimbundu) célèbre l’art culinaire de l’Angola. Exilé depuis 1966, le chanteur, âgé de 79 ans, adore cuisiner le poulet muamba, accompagné de manioc, d’huile de palme, de gombos, qu’il trouve sur les marchés du Portugal, où il vit près de Lisbonne. Et sa recette d’un semba réussi, musique angolaise dont il est un ambassadeur depuis cinquante ans ? « Le semba, il faut le vivre. C’est le parent de la samba. C’est la manière de vivre d’un peuple, une harmonie qui accorde les uns avec les autres. » Sa voix rauque, éraillée, ses rythmes dansants, chaloupés ou nostalgiques, ses textes militants : des ingrédients qui font le succès et la longévité de sa carrière, composée d’une trentaine de disques et de quelque 400 chansons. Sur son dernier album, Kintal da Banda, il invoque les précieux enseignements transmis par les aînés au cours de sa jeunesse, à l’époque du joug colonial. « L’école nous apprenait l’histoire et la géographie portugaises, mais pas celles de notre pays, pourtant quatorze fois et demie plus grand que le Portugal ! Heureusement, nos anciens nous ont appris notre culture, notre histoire, notre philosophie, une résistance psychologique. » Né José Adelino Barceló de Carvalho en 1942, à Kipri, il se rebaptise par la suite Bonga Kuenda, « un nom en lien avec l’histoire des miens ». Joueur de dikanza, instrument de percussion, il fonde le groupe Kissueia, puisant dans les rythmes angolais, réprimés par les colons. « Ces musiques ne passaient pas à la radio. Nous étions un groupe de résistance. Nos textes appelaient à la responsabilisation des jeunes. Il fallait prendre conscience que notre pays ne nous appartenait pas, et passer à l’action. » Également athlète, il bat le record du 400 mètres, s’envole en 1966 pour le Portugal où il réitère l’exploit, au sein du club Benfica. Mais, en 1971, après l’arrestation de certains de ses amis indépendantistes à Luanda, il est contraint de s’exiler aux Pays-Bas. Il y enregistre son premier album, Angola 72. « Ce disque révolutionnaire revendiquait l’indépendance, dénonçait les tortures, les prisons arbitraires, les massacres, les vols, les viols, commis par les colons. » Devenu célèbre, il est surveillé de très près par la police politique portugaise. « Je me suis réfugié en Belgique, en Allemagne, mais ils ne m’ont jamais attrapé. » L’ascension de sa carrière se poursuivra à Paris. Après l’indépendance en 1975, l’Angola sombre dans une guerre civile jusqu’en 2002.

Kintal Da Banda, Lusafrica. DR
Kintal Da Banda, Lusafrica. DR

« Pourquoi et comment l’expliquer ? Je ne trouve pas de réponse. Toutes ces ventes d’armes pour que les Africains s’entre-tuent… Il fallait continuer dans la voie du progrès, de l’amitié, de concorde. » Aujourd’hui, révolté par la corruption des élites, les inégalités sociales, la déscolarisation des jeunes, le manque d’accès aux soins, il est « un oeil, une voix, une musique critiques » à l’égard de sa terre natale, où chacun de ses concerts fait salle comble. « Il faut arrêter de copier les autres pays. Le peuple se fait avoir. Il n’a pas d’amis, seulement des gens intéressés, avides de profits, d’argent. Nous avons pourtant toutes les richesses possibles. Ayons le courage et la franchise de faire le bilan de nos erreurs. »