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Nigeria, la grande promesse

Bosun Tijani
«Un vivier de talents »

Ministre des Communications, de l’Innovation et de l’Économie numérique

Par Emmanuelle Pontié - Publié en décembre 2024
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Cadre légal, formations, incubateurs… Prendre la tech à bras-le-corps pour devenir un acteur incontournable.

AM: En novembre 2023, vous avez lancé un programme de formation destiné à 3 millions de talents technologiques. Quels premiers résultats?

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Bosun Tijani: Notre programme «3 Million Technical Talent», connu sous le nom de «3MTT», avance bien. Il privilégie l’inclusion, assurant la participation de l’ensemble des 774 zones de gouvernement local du Nigeria, et en particulier des communautés mal desservies, des femmes et des jeunes. Il s’agit d’une initiative qui a des conséquences significatives, non seulement au Nigeria, mais aussi dans le monde entier. Ainsi, l’un des principaux objectifs est de faire de notre pays un exportateur net de talents techniques en matière de compétences technologiques recherchées, à l’instar de ce que l’Inde a fait récemment. 3MTT a été structuré en trois phases. La première, le Prototype, a commencé par 1% de l’objectif souhaité, à savoir 30000 boursiers, et s’est avérée très fructueuse. Nous avons tiré les enseignements et les meilleures pratiques de cette phase pour améliorer la prestation des formations et l’apprentissage dans la phase 2, le Pilote, qui est axée sur l’augmentation du nombre total de boursiers formés à 300000, ce qui représente 10% de notre objectif. Une fois cette étape franchie, nous passerons à la phase 3, d’ici à 2025, afin d’atteindre notre objectif de 3 millions d’ici à 2027. Les premiers boursiers ont déjà trouvé un emploi et jouent désormais leur rôle dans la croissance de l’économie numérique du Nigeria. Nous sommes également reconnaissants d’avoir pu établir des partenariats avec des organisations telles que IHS Towers, MTN, le PNUD, AWS, Microsoft et d’autres, tandis que nous constatons également un intérêt accru de la part des entreprises technologiques locales et mondiales pour la formation avancée et les possibilités d’embauche.

Selon vous, combien de jeunes peuvent être impactés par le secteur des nouvelles technologies?

La majorité (plus de 60%) de notre population ayant moins de 25 ans, nous nous attendons à ce que la technologie joue un rôle important dans la vie de nombreux jeunes Nigérians au cours de la décennie. Ce potentiel est dû à la croissance exponentielle de l’économie tech mondiale, à la facilité d’accès aux compétences, à l’adoption et à la consommation croissantes de plates-formes et de services numériques dans notre pays. Actuellement, il y a plus de 4,5 millions d’emplois technologiques non pourvus dans le monde, et environ 30 millions de postes supplémentaires à créer au cours des quatre prochaines années. Nous avons donc la possibilité de constituer un vivier de talents pour répondre à cette demande. Par des investissements stratégiques dans l’éducation, l’intelligence artificielle, l’infrastructure numérique et l’innovation, nous voulons donner à nos jeunes les moyens de faire carrière et de tirer parti des opportunités économiques et de croissance dans le domaine de la technologie.

Où en est le projet de loi sur l’économie numérique et la gouvernance électronique?

Il est actuellement au stade avancé de l’examen législatif et devrait être adopté dans les mois à venir. Nous sommes en train de le présenter aux 36 États et au territoire de la capitale fédérale, afin d’obtenir de nombreux apports des parties prenantes des secteurs public et privé qui seront concernés par son adoption. Cette consultation inédite des parties prenantes – la première du genre au Nigeria – vise à susciter un engagement total, compte tenu du rôle essentiel de l’économie numérique dans le développement financier. Ce projet de loi permettra de formaliser le cadre de l’infrastructure publique numérique et de l’e-gouvernance, de fluidifier l’accès aux services gouvernementaux et de favoriser l’innovation en créant une clarté juridique autour des technologies émergentes telles que l’IA, la blockchain et la fintech. Des changements fondamentaux sont attendus, notamment une meilleure prestation de service pour les citoyens, une plus grande transparence dans la gouvernance et un cadre juridique plus solide pour attirer les investissements étrangers dans le secteur technologique nigérian.

En quoi consiste l’initiative «DevsInGovernment», qui vise à améliorer la prestation des services publics?

L’initiative «DevsInGovernment» est un élément clé de notre stratégie visant l’intégration de l’innovation technologique dans la gouvernance. Il s’agit d’une communauté qui rassemble des professionnels et des passionnés de technologie au sein des ministères, des départements et des agences gouvernementales, afin de partager les connaissances, de favoriser l’apprentissage, de collaborer et de créer collectivement des solutions pour la transformation numérique, en vue d’améliorer la prestation des services publics. Cette initiative sert également à mettre en place l’utilisation de la technologie au sein du gouvernement et à faire en sorte que les utilisateurs en première ligne deviennent ensuite des champions à travers l’ensemble du gouvernement.

Vous êtes très impliqué dans l’arrivée de l’intelligence artificielle. Vous avez notamment reçu une subvention de 2,8 milliards de nairas de Google à cet effet. Comment comptez-vous utiliser et réguler l’IA au Nigeria?

Nous misons beaucoup sur l’IA et sur l’impact qu’elle aura sur notre économie. Je suis particulièrement heureux du soutien que nous avons reçu de la part de plusieurs organisations telles que Google, mais aussi Luminate, qui a soutenu notre communauté de praticiens de l’IA – AI Collective – avec un financement de 1,5 million de dollars. La subvention de Google sert à soutenir la formation de jeunes Nigérians, ainsi que d’éducateurs et de décideurs à la science des données et à l’IA. Un soutien est également apporté à dix start-up nigérianes travaillant dans l’innovation en matière d’IA dans des domaines tels que la santé, l’agriculture, l’éducation et les services publics. Nous avons décidé de prendre les devants sur la manière dont elle façonne notre avenir, notamment du point de vue du Sud global. Nous avons commencé par élaborer notre stratégie nationale en matière d’intelligence artificielle en réunissant des experts d’origine nigériane du monde entier travaillant dans le domaine pour cocréer ce document. Nous avons été en mesure d’établir clairement une orientation cohérente pour le travail que nous effectuons, et nous constatons que cela est reconnu par un meilleur classement du Nigeria dans le domaine de l’IA au niveau mondial. Nous soutenons également le développement d’un modèle multilingue local à grande échelle, qui facilitera le développement d’applications d’IA. Tout cela a également permis de renforcer nos capacités en vue de devenir un centre de talents pour l’IA, en commençant par le niveau de base de l’étiquetage et de l’annotation, et en développant progressivement les ensembles de compétences locales pour devenir compétitifs sur le marché mondial.

Vous déclarez que l’ambition de votre pays est de devenir «un fournisseur mondial de talents dans les technologies». Comment comptez-vous vous y prendre?

Abritant six des huit licornes africaines, l’écosystème nigérian dédié à l’innovation est une destination de choix pour les investissements, attirant entre 20 et 25% du financement mondial pour l’Afrique. Pourtant, le vivier de talents qui a construit notre bassin technologique est composé d’un peu plus de 10000 professionnels, qui contribuent aux entreprises et aux start-up internationales. Imaginez l’impact d’une augmentation significative de ce nombre en créant une offre de talents correspondant à la demande mondiale croissante. Le Nigeria peut combler à hauteur de 22% le déficit actuel de main-d’œuvre au niveau mondial. Pour y parvenir, nous ne nous contentons pas d’étendre notre plan 3MTT, mais nous améliorons également l’accès à l’Internet haut débit et aux outils numériques grâce à notre projet de pose de 90000 km de câbles à fibres optiques pour compléter l’infrastructure existante.