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Burkina, constats et espérance

Par zlimam - Publié en novembre 2015
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En juillet 2013, un rapport extrêmement documenté de l’International Crisis Group (ICG) dressait un portrait alarmiste de la situation au Burkina, pays miné par les inégalités et par la lancinante question de l’après-Blaise Compaoré. « S’il respecte la loi fondamentale, sa succession risque d’être difficile, tant il a dominé la vie politique et fermé les possibilités d’alternance. S’il modifie la Constitution […], il prend le risque d’un soulèvement populaire. » Le rapport préconisait la première voie, avec une passation démocratique en douceur, soutenue par les principaux pays amis. Les décisions au sommet et les forces de l’histoire auront mené le Burkina sur l’autre chemin, nettement plus escarpé, celui de la rupture.

Les journées ouagalaises de novembre 2014 resteront comme un moment fort de l’histoire contemporaine. Avec les symboles révolutionnaires. Les manœuvres aussi, les putschs et contre-putschs. La mobilisation citoyenne sans précédent. La prise d’assaut du régime, la chute de l’homme fort. Ce paroxysme aura un retentissement dans toute l’Afrique. Posant de manière explicite la question des chefs aux mandats sans fin, des Constitutions de carton-pâte, modifiables à volonté. Un paroxysme qui renvoie aussi à la question primordiale de l’équilibre des pouvoirs dans une Afrique en demande à la fois de démocratie et d’ouverture, de stabilité et de direction.

C’est clair, Blaise Compaoré aura eu tort de vouloir se présenter à un nouveau mandat. La modification de la Constitution était une très mauvaise idée, tant politique que morale. La sortie n’aura pas été glorieuse. Et vingt-sept ans de règne doivent certainement donner lieu à un devoir d’inventaire, y compris sur les questions de corruption ou de droits de l’homme. Mais le « compaorisme » aura eu aussi des aspects positifs. La mise en place d’un État relativement fonctionnel, la naissance d’une société civile et politique. L’éducation. Un exercice subtil de « démocrature » où ouverture, élections et contrôle cohabitent. La stabilité aussi, un pari perdu par tous ses prédécesseurs depuis l’indépendance. Le système était certes à bout de souffle, mais il fallait partir de cette base pour construire, s’épargner autant que faire se peut une longue période d’instabilité.

Revenons alors à la transition, censée être au-dessus de la mêlée pour préparer les élections et l’avenir. Elle est dirigée par deux hommes eux-mêmes issus (à des degrés divers) du compaorisme, le président Kafando et le Premier ministre Zida. Et sous l’influence d’un Parlement non élu, présidé par le très militant Chérif Sy. Cette transition aura eu le mérite de remplir le vide, d’éviter le chaos immédiat. Mais sous la pression des « révolutionnaires », des ambitions des uns ou des autres, elle va devenir directement partie prenante dans les tensions qui vont progressivement miner le pays. En tentant d’affaiblir d’abord le fameux RSP (Régiment de sécurité présidentielle), que seul un pouvoir légitimement sorti des urnes aurait pu démanteler. Et surtout en excluant de manière arbitraire certains candidats de la future élection présidentielle. Un scénario déjà vu et revu, en particulier en Côte d’Ivoire avec les conséquences que l’on connaît…

Cette logique d’exclusion dans un pays fragilisé, en pleine rupture de régime, entraîne la déstabilisation tant redoutée. Elle provoque la consternation des pays amis du Burkina. Et une (rare) condamnation des juridictions de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Et surtout, elle « flingue » au passage la légitimité d’un futur président forcément mal élu. Comment faire la part des choses entre les bons et les mauvais candidats, dont la plupart ont été à un moment ou à un autre des piliers du précédent régime ? Comment attribuer des certificats de bonne moralité et de bonne conduite à celui-ci et pas à celui-là, selon que l’on est dans le camp des vainqueurs ou des vaincus du moment ? La « manip » est trop évidente.

Le putsch anachronique d’amateurs qui s’ensuit, et son échec, auront de multiples conséquences. La première d’entre elles sera, paradoxalement, de saper les derniers piliers du compaorisme, le RSP, les hauts cadres, et avec eux la crédibilité de l’exparti majoritaire, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), plus ou moins rallié au général Diendéré… La chute entraîne celle d’autres « bannis », comme Djibrill Bassolé, ancien ministre et fondateur de la Nouvelle Alliance du Faso (Nafa) qui se retrouve en prison. En ces journées sous haute tension de septembre 2015, c’est l’acte II de la révolte de novembre 2014 qui s’est joué. La suite (et la fin ?) de la séquence. Les révolutionnaires profitent de leur avantage. Il leur faut faire table rase d’hier et éliminer la concurrence…

Reste à savoir si les ténors actuels « de l’opposition » pourront occuper l’espace libéré. La plupart ont servi, eux aussi, à un moment ou à un autre le régime déchu, à l’exception notable de Maître Bénéwendé Sankara, figure historique de la contestation. La plupart des appareils politiques sont embryonnaires. Ils ont peu de prise sur le peuple, la foule. L’audience des nouveaux partis dépasse à peine les quartiers centraux de Ouaga ou de Bobo. Et la plupart des « figures » se sont montrées relativement discrètes pendant ce septembre de tous les dangers, comptant de toute évidence les coups entre les uns et les autres, attendant de voir émerger un vainqueur potentiel.

Comme le souligne un fin connaisseur du pays, le pouvoir au Burkina s’appuie sur deux composantes. La première reste « culturo-ethnique ». Dans ce pays très majoritairement mossi, on verrait mal un chef qui ne soit pas originaire ou proche de la communauté. L’autre composante, c’est évidemment le pouvoir militaire. Depuis l’indépendance, rien ou presque ne peut se faire contre lui, sans lui. Sur les neuf chefs d’État (plus ou moins légitimes) que le pays a comptés, sept sont sortis des rangs d’une « grande muette » décidément très active. La liste est parlante : Maurice Yaméogo (civil), Aboubacar Sangoulé Lamizana (militaire), Saye Zerbo (militaire), Jean Baptiste Ouédraogo (militaire), Thomas Sankara (militaire), Blaise Compaoré (militaire), Isaac Zida (militaire), Michel Kafando (civil) et l’on pourrait rajouter Gilbert Diendéré (militaire). Les événements de septembre auront porté à l’avant-scène une armée désormais « réunifiée », débarrassée de cette unité favorisée qu’était le RSP. Les divisions criantes apparues en 2011 entre élite et hommes de rang sont officiellement soldées. Les « uniformes » ont certainement sauvé la transition. Mais du coup, ils se retrouvent, comme d’habitude, au cœur du processus. Zida, ancien membre réformé du RSP, Premier ministre aux ambitions plus ou moins explicites. Et le chef d’état-major Pingrenoma Zagré dans le costume du sauveur…

La transition a donc officiellement repris la main. Mais la route s’annonce tortueuse. L’exécutif sort affaibli de la séquence. Les divisions, notoires avant le coup d’État, ne vont pas manquer de réapparaître. Les procès et les règlements de comptes vont mobiliser l’attention et désarticuler un peu plus la scène politique. Les « opposants » vont tenter de jouer au plus fin attendant leurs heures, pendant que la société civile et les « révolutionnaires » voudront imposer un agenda social difficilement tenable dans un pays épuisé. Quant aux élections, elles sont reportées de « plusieurs semaines », au mieux, accentuant encore la période d’instabilité et de risque.

Le Burkina est un pays exceptionnel à plus d’un titre. Avec du tempérament. Du cœur. Qui répugne à la violence. Une vraie nation. Et qui mérite mieux qu’une interminable transition chaotique, soumise aux ambitions des uns et des autres. Il faut des élections les plus ouvertes possible, dans un processus le plus largement accepté, qui donne la parole au peuple, seul arbitre légitime. Il faut des alliances (même temporaires), comme en Tunisie, comme en Côte d’Ivoire, pour sortir de l’ornière. Il faut des hommes politiques rassembleurs. Afin de reprendre au plus vite la marche en avant. Parce que pour la plupart des citoyens, les urgences sont autres que politiques. Le Burkina reste l’un des pays les plus pauvres du monde avec un revenu annuel par habitant proche de 700 dollars. Et où la moitié de la population vit avec moins de 1 dollar par jour.