Cap vers les grands larges
Avec la sécurisation probable et progressive du trafic en mer Rouge, Djibouti va pouvoir poursuivre ses investissements et sa diversification dans le domaine portuaire et logistique. Proposer de nouveaux services, accentuer le transbordement et desservir de nouveaux corridors, y compris vers le cœur du continent.
Le 13 octobre dernier, la conclusion d’un accord de cessez-le-feu et de libération des otages entre Israël et le Hamas sous l’égide du président Trump suscitait aussi un grand espoir… sur les quais djiboutiens.
Celui de la fin du blocus maritime en mer Rouge opéré par les milices houthistes du Yémen voisin, soutiens du Hamas, qui obligeait depuis deux ans les navires du monde entier à contourner le canal de Suez (jusqu’alors 30% du trafic mondial de conteneurs et un million de barils de brut par jour) et à passer par le cap de Bonne-Espérance.
Pour Djibouti, plate-forme logistique incontournable entre l’Europe et l’Asie, au cœur depuis 2010 des nouvelles routes de la Soie chinoises, on pouvait craindre alors le pire. «Mais on a tenu le cap», confirme Aboubaker Omar Hadi, président de l’Autorité des ports et zones franches de Djibouti (DPFZA). Mieux, son trafic a crû de 35%, passant de 1 à 1,2 million d’EVP (équivalent vingt pieds) entre 2023 et 2024. «Mais à terme, cette situation n’était pas tenable», confie-t-il, voyant le trafic reprendre sa dynamique d’avant de plus belle.
Si Djibouti a pu contenir le choc, c’est grâce au trafic vers l’Éthiopie (35% du volume des marchandises) qui demeure, et au marché de la Comesa, fort de 400 millions de personnes. Mais c’est surtout grâce aux opérations de transbordement (65% du volume des marchandises) qui, selon la Banque mondiale, ont connu un bond de 239,5%! Dès lors, les plus gros bâtiments venaient déverser leur cargaison qui était récupérée par de plus petits approvisionnant dans les ports voisins.
Profitant un moment du passage de tous les bateaux qui ne pouvaient pas franchir la mer Rouge et qui venaient décharger leur marchandise, en attente de réexpédition, Djibouti a ainsi été utilisé comme port de substitution pour des marchandises qui ne pouvaient plus rejoindre l’Érythrée, voire le Soudan, actuellement en plein conflit. Refuge sûr pour les navires endommagés par des attaques de missiles, Djibouti constitue également une liaison maritime essentielle vers le Yémen, notamment via le corridor Djibouti-Hodeidah, qui opère sous l’égide de l’ONU. Le pays a permis le contrôle par cette dernière des cargaisons en direction du Yémen. «On est devenu un port de transbordement, on veut capitaliser sur ça», poursuit Aboubaker Omar Hadi. Car, indépendamment de la crise traversée, dans sa stratégie à moyen terme, l’Autorité des ports et zones franches envisagerait de réaliser 50% de ses activités dans le transbordement pour moins dépendre du trafic en transit vers l’Éthiopie et des aléas régionaux.
Pour poursuivre sur cette lancée, le port multiplie les investissements. Quatre grues de 135 mètres de haut ont ainsi été mises en service en 2024 à Doraleh, où la zone de stockage en bord de mer a été agrandie sur cinq hectares gagnés sur la mer, augmentant ainsi la capacité de manutention des porte-conteneurs plus larges. Coût total: 70 millions de dollars.
La jetée pétrolière de 3 km du complexe pétrochimique de Damerjog (en cours d’opérationnalisation) a été achevée et pourra à terme traiter 25 millions de tonnes. En visite début octobre sur le site, le groupe chinois GCL a ainsi remis sur le métier son projet, vieux de dix ans, de gazoduc depuis la région éthiopienne de l’Ogaden. Le plan prévoit l’extraction et l’exportation de gaz naturel via le port de Damerjog, où une barge flottante sera installée pour la liquéfaction et le stockage du gaz avant son expédition.
CORRIDORS COMMERCIAUX
Par ailleurs, un nouveau terminal à conteneurs, de 1450 mètres de longueur de quai et de 18 mètres de profondeur chart datum, sera développé à Doraleh à partir de la mi-2026, avec une capacité de traitement de 5 millions de conteneurs directement destinés aux plus grandes lignes maritimes.
Car l’objectif demeure de créer des corridors commerciaux qui desservent, au-delà de l’Éthiopie, le «cœur du continent». C’est ainsi que le Sud-Soudan a signé fin août un accord avec Djibouti donnant à ce dernier des concessions dans des ports fluviaux et des ports secs. Il s’agit ainsi de faire de Djibouti le débouché sécurisé des exportations de brut sud-soudanais. Depuis 2016, Djibouti bénéficie de 10 hectares dans le parc industriel rwandais après avoir octroyé 60 hectares au pays des Mille collines dans ses ports.
«RESTER PRUDENT»
Et ce sont 28 villes africaines qui sont atteintes par Djibouti à travers une logistique qui permet aux marchandises d’arriver par la mer et de repartir par les airs à travers un triage en zone franche.
Autre fierté pour l’autorité portuaire: les 700 millions de dollars de chiffre d’affaires de son bras financier, Great Horn Investment Holding (GHIH), présent au capital de 23 entreprises (ports, zones franches, Air Djibouti, projets énergétiques, etc. ) et symbole de la diversification des activités logistiques du pays.
De quoi éloigner toute concurrence frontale avec le port de Berbera au Somaliland, où a investi DP World, et qui pourrait constituer une alternative logistique pour l’Éthiopie. Mais son trafic annuel serait de 12 0000 tonnes. «On ne boxe pas dans la même catégorie ! » conclut le dirigeant. En bon capitaine de navire connaissant les vents tempétueux de sa région, il demeure humble. «En neuf ans, on a investi 1,7 milliard de dollars dans nos infrastructures, il faut rester continuellement prudent, il ne faut pas jeter tout l’argent à l’eau. »