
Djaïli Amadou Amal:
"Un enfant qui ne lit pas est un enfant qui ne rêve pas »
L’écrivaine et militante féministe camerounaise, lauréate du prix Goncourt des lycéens pour son roman Les Impatientes (Emmanuelle Collas) en 2020, est très engagée dans son pays pour l’éducation, la promotion de la lecture, les droits des femmes.
En quoi a consisté ce concours d’écriture pour enfants mené avec la fondation ASAF, récompensant les jeunes lauréats le 13 septembre 2025 à Douala ?
Je suis l’ambassadrice de bonne volonté de la fondation ASAF. En convergence avec mon engagement social, la mission de cette organisation est de soutenir l’éducation, le leadership féminin et l’émancipation des jeunes en Afrique. Ce concours d’écriture a permis aux enfants de passer des vacances utiles : ils ont participé à des ateliers de lecture, d’écriture, et la création de leurs textes était encadrée. Les jeunes ont beaucoup de choses à dire aux adultes ; ils sont très sensibles à leur environnement. Et ils ont été innovants. Cette première édition fut un succès total : nous avons reçu 150 textes. J'ai pris du plaisir à les lire ; certains d’entre eux seront suivis à travers les structures des Bibliothèques Djaïli Amadou Amal. J’insiste auprès des parents afin qu’ils privilégient la lecture pour leurs enfants, qu’ils les encouragent et leur facilitent l'accès aux livres. C’est la clé du monde.
Pourquoi la lecture et l’écriture sont-elles fondamentales dès l’enfance ?
Elles éveillent et cultivent l’intelligence et la capacité d’imagination. Un enfant qui ne lit pas est un enfant qui ne rêve pas. Et sans rêve, on ne peut pas avoir d’ambition. À travers mon association Femmes du Sahel, j’ai créé des bibliothèques, à Douala et à Maroua, adaptées à toute catégorie de lecteurs – enfants, adolescents, adultes. Ils peuvent emprunter des livres moyennant une modique et symbolique somme annuelle d’abonnement. Elles sont dotées d’espaces de lecture et proposent des activités culturelles. Leurs taux de fréquentation dépassent largement les attentes, confirmant ce fait : quand on crée les conditions d’attrait culturel pour la jeunesse, leur intérêt fait naturellement le reste. Nos bibliothèques organisent aussi des ateliers de lecture et d’écriture pour enfants et adultes, ainsi que des séances de dédicace et des conférences.
Quelles autres actions menez-vous avec votre association Femmes du Sahel, engagée en faveur de l’éducation et de l’émancipation des jeunes filles et des femmes ?
L’association a été fondée pour répondre à deux piliers stratégiques de ma vision : l’éducation et l’autonomisation financière des femmes. L’accès à l’éducation est primordial pour les jeunes filles : il conditionne leur devenir dans notre monde exigeant. Cette année, les premières filles parrainées depuis l’école primaire en 2012, lors de la création de l’association, accèdent aux études supérieures de licence et de master. J’en suis très heureuse. Elles bénéficient ainsi des bourses de l’association avec le soutien de ses partenaires, les organismes Studely, Pigier et ASAF. Nous accompagnons également des femmes à travers des activités génératrices de revenus. Enfin, nous menons des campagnes de sensibilisation sur les violences et le mariage forcé dans les établissements scolaires et au sein des communautés traditionnelles.
Qu’attendez-vous du prochain gouvernement camerounais concernant vos domaines d’engagement ?
La culture est fondamentale et transversale ; elle innerve tous les axes de progrès d’une société qui fait de son développement une priorité. L’éducation est un vecteur essentiel et privilégié sur lequel repose la pratique culturelle. La qualité du système éducatif doit être questionnée, afin d’apporter les ajustements nécessaires à sa compétitivité et aux exigences d’excellence. Et la culture ne doit pas échapper à cette logique. Il faut mener une véritable politique du livre (édition, diffusion, coût), promouvoir la lecture à travers le développement de bibliothèques et d’espaces culturels, organiser des événements littéraires. Concernant les droits des femmes, la société doit être profondément questionnée, et pas seulement à la lumière des derniers épisodes de féminicides ou du scandale judiciaire qui a émaillé la justice camerounaise [le 1 er avril 2025, un tribunal de Douala a condamné un homme à seulement cinq ans de prison avec sursis et une amende de 52 000 francs CFA (environ 80 euros) pour avoir porté des « coups mortels » à son épouse Diane Yangwo, tuée en novembre 2023. Le verdict a suscité une vague d’indignation, ndlr]. Il faut considérer la condition féminine au sens large, prendre en compte toutes ses composantes. Ce devrait être un pilier majeur de tout nouveau gouvernement et de son action politique. Car aucune société ne peut se construire, se développer et s’épanouir sans s’investir pleinement pour la condition des femmes. www.femmesdusahel.org