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Ce que j'ai appris

Dobet Gnahoré

Par Astrid Krivian - Publié en décembre 2021
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« Jene donne pas d’étiquette à ma musique. Je me nourris de l’Afrique, de l’Europe, de l’électro, de tout ce que je rencontre. » JEAN GOUN
JEAN GOUN

LA CHANTEUSE IVOIRIENNE DÉPLOIE SES TALENTS lors de performances scéniques intenses. Sur son nouvel album Couleur, elle livre ses messages optimistes et encourage la persévérance et l’indépendance des femmes.

​​​​​​​J’ai d’abord été élevée par ma grand-mère, au village. Elle m’a transmis son savoir sur les plantes, les traditions. À l’aube, nous allions aux champs cultiver le riz, pour ensuite le piler et le vendre au marché. Le soir, je l’écoutais conter des histoires au clair de lune.

J’ai grandi dans le village culturel panafricain créé en 1985, au coeur d’Abidjan : le Ki Yi M’Bock [nom qui signifie « ultime savoir de l’univers » en bassa, langue de sa cofondatrice camerounaise, l’artiste pluridisciplinaire Werewere Liking, ndlr]. Venant de tout le continent, des personnes y pratiquaient la danse, les percussions, le théâtre, la musique… et créaient des spectacles. Les traditions de chaque pays se métissaient et formaient quelque chose de nouveau. Cette approche m’a inspirée pour ma carrière, encore aujourd’hui. Je ne donne pas d’étiquette à ma musique. Je me nourris de l’Afrique, de l’Europe, de l’électro, de tout ce que je rencontre.

À 12 ans, j’ai décidé de quitter l’école pour me consacrer à la musique. Je n’avais pas le choix : j’étais happée par l’art. C’était très difficile à l’école, car je parlais le bété, et pas le français. J’étais toujours l’une des dernières. Je ramais vraiment, je ne trouvais pas ma place. Alors je faisais l’école buissonnière, je me cachais, ça devenait pesant. J’ai demandé à Werewere, ma mentor, de convaincre mon père [le percussionniste, chanteur et acteur Boni Gnahoré, ndlr] de m’intégrer à ce mouvement d’artistes. Il a accepté et, avec les autres « kiyistes », il m’a formée, jusqu’à ce que je développe ma propre voie.

Couleur, Cumbancha. DR
Couleur, Cumbancha. DR

Cette expérience au sein de cette communauté utopique m’a appris à réaliser mes rêves, la persévérance, l’autonomie, la capacité à trouver seule mon énergie, ma motivation. Werewere reliait l’art avec la dimension mystique. Elle nous a enseigné différents courants spirituels, afin de nous aider à nous réaliser, nous connaître, créer notre univers.

Mes textes s’inspirent toujours des enfants, et surtout des femmes – cette jeune génération africaine qui se bat pour créer des entreprises, avoir un nom dans la société, vivre leur vie, sans compter sur un homme. Elles croient en elles et inventent des solutions pour leur avenir et celui de leur famille. Miser tout son espoir sur un homme jusqu’à s’oublier n’est pas une solution. Je crois à la force de chaque femme pour s’en sortir seule. Si elle souhaite d’abord se réaliser elle-même, une jeune fille peut désormais refuser un mariage qu’on tente de lui imposer.

Je suis une malade du boulot ! Piano, vocalise, danse… Je m’exerce tout le temps afin de garder le niveau. Je suis mon propre patron : j’ai vite compris que si je ne travaillais pas, le lendemain, je ne mangerai pas ! Je suis l’aînée d’une grande famille. Dans notre tradition, c’est mon rôle d’aider mes parents, mais aussi les autres membres à subsister. C’est un poids mais une motivation aussi : je ne dois pas me reposer sur mes lauriers ! Seule la mort me donnera le repos. En concert, j’ai une énergie phénoménale ! D’où vient-elle ? Je m’étonne moi-même ! La scène est une thérapie, je me guéris chaque fois. Dieu, ou l’énergie divine – ou quelque chose que je ne peux nommer –, m’a toujours soutenue dans mes choix, depuis l’enfance.