Ismaïl Omar Guelleh a indiqué au nouveau gouvernement la priorité de l’heure : parvenir à un développement solidaire et inclusif.
Djibouti a fait, au cours des vingt dernières années, d’incontestables progrès économiques. Au cours de cette période, le produit intérieur brut (PIB) a été multiplié par cinq, passant de 100 milliards de francs Djibouti (562 millions de dollars) à 500 milliards de francs Djibouti (2,81 milliards de dollars), soit un revenu par habitant de près de 3 000 dollars – le plus élevé de la région, géant économique éthiopien compris. Toutefois, le PIB par habitant ne reflète pas toute la réalité socio-économique du pays. Le bouleversement positif de l’écosystème avec les méga-investissements dans les infrastructures est réel, mais semble parfois virtuel pour les citoyens. Comme en témoigne l’indice de développement humain (IDH) du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), Djibouti demeure dans la catégorie des pays à faible développement, avec une pauvreté affectant trois habitants sur quatre et une extrême pauvreté touchant 20 % de la population. Pourquoi un tel écart ?
Ce n’est pas un mal djiboutien mais africain. » Cette réponse provient de Mohamed Sikieh Kayad, conseiller financier du président IOG et plume pour les discours économiques de ce dernier. Les propos de cet ex-représentant de l’Afrique de l’Ouest à la Banque mondiale respirent le pragmatisme : « L’Afrique subsaharienne connaît depuis plus d’une décennie une croissance soutenue de 6 à 7 %, sans arriver à créer de l’emploi ni à enrayer la pauvreté, car non inclusive. » Selon lui, ce mal inexplicable frappe exclusivement le continent. « Avec 1 à 2 % de croissance, l’Europe tourne autour de 7 à 9 % de chômeurs, l’Amérique du Nord et ses 3 % de croissance ne déplore que 5 % de chômeurs, quant à l’Asie, elle baigne dans le plein-emploi. En Afrique, il y a une déconnexion entre l’économique et le social, mais ce n’est pas aux experts de la Banque mondiale ni à ceux du FMI de nous trouver la solution. C’est à nous, Africains, de la trouver. » C’est cette nécessité qui explique en grande partie le dernier remaniement ministériel.
UNE NOUVELLE FEUILLE DE ROUTE
Le 5 mai 2019, le président IOG s’est entouré d’une nouvelle équipe gouvernementale pour un nouveau départ. Quatre jours plus tard, au cours du premier Conseil des ministres, il dévoilait la nouvelle feuille de route avec cette formule : « J’assigne à notre ambition collective une finalité claire : celle d’un développement solidaire et inclusif. » En d’autres termes, la croissance doit produire un impact direct sur le quotidien des citoyens. La nouvelle philosophie se résume à du social, du social et… du social. Quant aux priorités, elles sont déjà identifiées, mais exigent « des efforts encore plus soutenus consacrés à l’emploi et à l’employabilité des jeunes […], aux politiques publiques en faveur des femmes et des filles, à la promotion d’un habitat décent et à l’accès à un logement pour tous. [Le président] veu[t] que les instruments novateurs d’inclusion sociale, comme la couverture maladie universelle (CMU) et le soutien aux personnes à besoins spéciaux, soient élargis et renforcés. » Érigé en priorité, le logement social ne pouvait être pris en charge par le seul budget national. C’est pourquoi le chef de l’État a lancé, en octobre 2016,un appel à la solidarité nationale et créé une fondation à son nom pour recevoir des dons.
Les grands groupes économiques nationaux publics et privés (Coubèche, Al Gamil, Djibouti Télécom…) et étrangers (notamment China Merchants Group, avec 1 000 logements offerts) ainsi que de nombreux particuliers ont répondu à l’appel. Objectif : financer un programme de 20 000 logements au profit des catégories les plus vulnérables (personnes insolvables, handicapées et malades chroniques). La Fondation IOG contribue en outre indirectement à résorber le chômage. Les nombreux chantiers augmentent les plans de charge des entreprises de construction. Mieux : une vingtaine de diplômés de la formation professionnelle n’ayant pas trouvé de travail se sont organisés en coopérative et ont postulé pour participer à un chantier de la Fondation, à Balbala. Ils ont obtenu un marché pour la réalisation de six habitations. « La qualité de leur travail a été saluée par les entrepreneurs, explique Abdoulkader Houmed, directeur général de l’enseignement technique et de la Formation professionnelle, et ces derniers ont fini par les embaucher. »
FAIRE JOUER LA SOLIDARITÉ NATIONALE
L’autre priorité sociale du président est que ses compatriotes soient mieux soignés. Si le budget de l’État n’est pas en mesure d’augmenter sensiblement le nombre de lits des quatre hôpitaux que compte la capitale, il a mobilisé ses ressources pour moderniser les équipements (scanner dernière génération, appareil de dialyse, blocs chirurgicaux mieux équipés). Pour le reste, IOG a lancé un appel à la diaspora pour qu’elle investisse dans la santé de ses concitoyens. Maternités, cliniques spécialisées et laboratoires d’analyse ont réduit les longues files d’attente dans les hôpitaux. Dernière réalisation en date, l’inauguration par le président, le 24 juin 2019, d’une clinique de cardiologie, fruit de l’investissement d’un homme d’affaires djiboutien établi à l’étranger.
Le chef de l’État fait également jouer la solidarité nationale pour assurer la CMU. Le chômage touche près de 45 % de la population. Cependant, les habitants les plus défavorisés sont dispensés de cotisations et bénéficient de la CMU. Celle-ci leur permet la gratuité des consultations médicales, la délivrance de médicaments essentiels, des analyses biologiques ainsi que des examens radiologiques et de scanner. IOG a laissé entendre dans sa feuille de route que cela était encore insuffisant et a demandé à son gouvernement de trouver de nouveaux mécanismes pour élargir le champ de la CMU à l’ensemble de la population. Mohamed Sikieh Kayad précise que le président a laissé entendre qu’il était temps de sortir de l’autosatisfaction : « Arrêter de se gargariser avec des “Nous avons investi tant de millions de dollars” ou des “Nos ports ont traité X milliers de conteneurs”, sans mesurer l’impact sur la vie du Djiboutien. Il a prévenu ses ministres : “Désormais, votre travail sera régulièrement évalué.” » Première décision : la création d’un institut de statistiques dédié à l’évaluation des effets directs de la politique gouvernementale sur le niveau et la qualité de vie des citoyens. Désormais, les indicateurs du développement humain seront scrutés attentivement. On ne badine plus avec le social.