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Ce que j’ai appris

EL ANATSUI

Par Loraine Adam - Publié en avril 2016
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LION D’OR 2015 DE LA BIENNALE DE VENISE, L’ARTISTE GHANÉEN A FAIT DE MATÉRIAUX DE REBUT LA MATIÈRE PREMIÈRE DE SES CRÉATIONS. Présent dans les collections les plus prestigieuses, ce célibataire discret, qui vit au Nigeria, est devenu l’un des artistes les mieux cotés du continent. L’une de ses œuvres a été vendue 1,4 million de dollars en 2006 chez Sotheby’s.

À 4 ans, mon père m’a donné un surnom, El Anatsui, qui signifie « sois patient » en langue igbo. Je ne l’étais pas mais j’ai appris à l’être. Je suis le cadet d’une fratrie de trente-quatre enfants issus de trois mariages – et nous ne sommes plus que huit aujourd’hui. Mon père, pêcheur et tisserand, bricolait sans cesse. Ma mère, morte quand j’étais très jeune, est pourtant celle qui a le plus compté pour moi. J’ai l’intuition qu’elle m’a transmis un don même si elle n’était pas diplômée en art. (Rire.) J’ai été élevé par un oncle révérend et j’ai toujours aimé faire mille choses de mes mains. Dès le jardin d’enfants, on m’a encouragé à dessiner. Il y a de nombreux artisans dans ma famille, même s’ils ne sont pas connus. Je savais qu’à un moment, à force de patience, j’allais goûter à ce que l’art avait à m’offrir.

J’ai appris qu’il faut prendre des risques dans la vie. Ma route a été solitaire, je ne dois rien à personne. Ma famille n’était pas contre mes projets mais elle ne m’a jamais aidé. Ni elle, ni personne. En 1978, j’ai quitté l’Afrique pour la première fois. Je me suis acheté un billet d’avion pour le Canada et j’ai atterri à Toronto, dans une ville glacée même en plein été. Voir toutes ces œuvres exposées m’a beaucoup encouragé. J’ai aussi participé à une résidence d’artistes dans le Massachusetts. Un grand moment ! On n’avait pas besoin de visa à l’époque.

Un jour, au Ghana, en me promenant dans un endroit splendide, j’ai trouvé un sac abandonné au bord d’un sentier. Je l’ai secoué, il faisait du bruit, c’était des capsules de bouteilles d’alcool. Je l’ai pris sans savoir qu’en faire et six mois plus tard, j’ai eu l’idée de les assembler pour en faire d’immenses draperies à base de matériaux recyclés, comme l’aluminium et le plastique. Depuis, j’ai une trentaine d’assistants qui plient et relient avec des fils de cuivre les millions de pièces que les distilleries me fournissent directement.

Après mes études au College of Art de Kumasi au Ghana, j’ai eu la chance d’être nommé, en 1975, professeur de sculpture à l’université de Nsukka, au Nigeria ; j’ai occupé ce poste jusqu’en 2011. C’est là que j’ai rejoint le groupe d’artistes nigérians Nsukka. J’ai appris le travail du bronze dans les livres. J’ai commencé par la poterie parce que j’aime l’image – très africaine – du pot cassé qui, en se voyant attribuer un nouvel usage, retrouve une utilité. Cette idée de renaissance, de destruction et de reconstruction des déchets, c’est comme si des semences germaient entre les éclats.

À 72 ans, je suis encore jeune et j’ai beaucoup de rêves à réaliser. Tout le monde doit mourir mais pas à cet âge-là. J’en demande encore autant ! Je souhaiterais ouvrir un atelier au Ghana, un autre à New York. J’adore marcher, je parcours au moins 10 kilomètres par jour et le double le dimanche. J’ai besoin de calme et de nature. J’aimerais aussi aller créer une œuvre en Antarctique, c’est un défi d’imaginer quelque chose à partir de rien, seulement de la neige. Ça ouvre de nouveaux horizons en soi. Out of the blue…