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Élections : miracle à l'ivoirienne ?

Par zlimam - Publié en février 2011
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Certains signes, symboliques, comme les prises de fonction de préfets dans l'ex-zone rebelle, donnent envie d'y croire. Ceci étant écrit, nous n'en sommes pas à la première date annoncée. Et qui pourrait ne pas être tenue. Le chemin vers les élections est encore long, très long. Recensement, liste électorale, cartes d'électeur, sécurité, budget, financement... Il faudra que tout le monde joue le jeu, que le scrutin se déroule normalement, sans contestations, sans émeutes, sans violence. La Côte d'ivoire, grand pays de l'Afrique de l'Ouest, grande nation multiethnique et multiculturelle a perdu plus d'une décennie (près de quinze ans, si l'on part du « débat » sur l'ivoirité) dans un conflit stérile, sanglant, dramatique pour les populations, et que l'on aurait pu éviter. La classe politique a failli. L'« éthnicisme », les ambitions et l'argent roi, ont tout consumé. Le retour progressif de la paix ne doit pas empêcher un examen de conscience général : pourquoi avons-nous échoué ?
L'élection elle-même, si elle a lieu, sera une élection de transition. Laurent Gbagbo a déjà quasiment dix ans de pouvoir (dont cinq en dehors de tout cadre constitutionnel), Henri Konan Bédié (fondateur du concept d'ivoirité) a 75 ans, et il a été élu président, pour la première fois, en 1995... Alassane Dramane Ouattara a été Premier ministre d'Houphouët de 1991 à 1993, et la plupart des électeurs d'aujourd'hui connaissent mal son histoire. Ces hommes politiques, quelles que soient leurs qualités et quelles que soient nos opinions, sont « tenus » par le poids du passé. Leur responsabilité, aujourd'hui, c'est de mener la Côte d'Ivoire au scrutin, restaurer l'ordre institutionnel. Et, surtout, préparer la transition des générations. Des hommes et des femmes nouveaux doivent émerger, plus jeunes, prêts à gouverner à l'horizon 2015.
Cette transition ne sera pas facile. On ne le dit pas clairement, mais la Côte d'Ivoire est à sec. Le pays est écrasé par une dette de près de dix milliards de dollars. La guerre a désorganisé les circuits de production, de transports. La pauvreté touche six Ivoiriens sur dix. La filière cacao est en déshérence. Malgré le courage d'un certains nombre de ministres, de hauts fonctionnaires, de patrons qui ont tenu la barque à bout de bras, la Côte d'Ivoire est économiquement épuisée. À reconstruire. C'est le défi de la génération qui vient, celle qui s'est forgée dans l'épreuve, dans la crise et la guerre.

Démocratie : miracle à l’indienne
ON POURRAIT parler aussi de l'Inde, nouvelle puissance émergente, ancien joyau de l'empire britannique, patrie du mahatma Gandhi et de la dynastie des Nehru. On pourrait, en particulier, évoquer une question qui nous interpelle : la démocratie indienne. Le pays le plus peuplé du monde vient de voter pour désigner sa chambre basse. Ce sont les 15e élections générales depuis 1947. Elle se sont étalées sur près d'un mois (16 avril au 7 mai). Elles ont concernés mille partis, locaux ou nationaux, et sept cent quinze millions d'électeurs (!), soit quarante millions de plus que lors du dernier scrutin (2004). Tout cela se passe dans un pays de plus d'un milliard d'habitants, encore largement plongé dans le sous-développement, avec une très grande majorité d'habitants, pauvres et/ou analphabètes. Tout cela se passe dans un pays continent, soumis en permanence à de violentes tensions ethniques et religieuses. Un pays où une forte minorité musulmane doit composer avec une large majorité hindoue. Un pays que le terrorisme frappe régulièrement. Un pays socialement rigide, de maharadjahs et de gueux, où les castes sont encore en vigueur. Conclusion, si une telle nation, hors normes, est capable de créer sa démocratie, je ne vois pas pourquoi l'Afrique ne pourrait pas y arriver...

Histoire : retour à Tien An Men
L'HISTOIRE REVIENT TOUJOURS SUR SES PAS. Le 4 juin 1989, le printemps de Pékin fut écrasé par le parti communiste et l'armée. Pour « sauver » le régime et les réformes, menées par Deng Xiaoping. Ce fut ce que l'on a appelé le massacre de Tien An Men, symbolisé par cette fameuse photo d'un homme seul face aux chars. L'histoire officielle et officieuse de ce moment tragique est en passe d'être réécrite. Grâce à cent trente heures de monologues enregistrées en cachette par Zhao Ziyang, alors qu'il était en résidence surveillée. L'ancien Premier ministre et secrétaire général du PC, favorable au dialogue avec les étudiants, a été « viré », après Tien An Men. Son nom et son image sont devenus tabous. Il est décédé en 2005. Ses monologues viennent d'être publiés à Hong Kong, sous le titre Prisoner of the State : the secret journal of Zhao Ziyang. Le texte, « révolutionnaire » à plus d'un titre, dénonce les manœuvres de Jiang Zemin et Li Peng (les successeurs de Zhao Ziyang) pour mater la rébellion. L'auteur décrit un Deng Xiaoping déterminé à appliquer la loi martiale, loin d'être manipulé par les conservateurs, un Deng Xiaoping effrayé par toute forme de réforme politique, ou de « libéralisation bourgeoise ». Il dénonce une légion d'apparatchiks, aujourd'hui couronnés pour leur prétendue contribution au boom économique, alors qu'ils ont tout fait pour le contrer. Et surtout, il pose une question essentielle, celle de la réforme politique. La Chine, dit-il, doit mettre en place une démocratie parlementaire pour maintenir une économie de marché saine. Sinon, elle sera confrontée « à la commercialisation du pouvoir, à une corruption rampante, et à une polarisation de la société entre les riches et les pauvres ». Un jugement toujours d'actualité, vingt ans après Tien An Men. Et qui concerne aussi un certain nombre de nos pays.

Orient : complexité iranienne
L'IRAN N'EST PAS UN PAYS simple, caricatural et hystérique (voir notre cover story). Ses dirigeants ne sont pas des « allumés suicidaires ». Leur objectif n'est pas de s'autodétruire. L'Iran est un grand pays, compliqué, difficile, central, un acteur essentiel. Le régime est toujours là, trente ans après la révolution, et son influence s'étend de Beyrouth à Bagdad, de Gaza à Karachi. Rien ne prouve, sans équivoque, que l'Iran veuille développer une capacité nucléaire militaire. L'ayatollah Khomeiny et l'actuel chef spirituel Ali Khamenei ont déclaré l'arme atomique, « immorale et anti-islamique ». L'Iran veut une capacité civile, et on se demande au nom de quoi cela lui serait interdit. Peut-être souhaite-t-il atteindre une breakout capacity, c'est-à-dire la possibilité, « en cas de besoin », de produire une arme en quelques mois. On peut alors poser la question pour la énième fois : qui définit les règles d'appartenance au club atomique ? Poser aussi, pour la énième fois, la question de l'État hébreu, puissance nucléaire majeure et non déclarée. L'Iran se veut une grande puissance en devenir. Mais c'est une puissance fragile, encerclée de toutes parts par les forces américaines. Une nation menacée directement par Israël (dont la rhétorique verbale n'est pas plus subtile que celle du président Ahmadinejad). C'est un grand pays pétrolier qui doit protéger ses sites de production et d'acheminement. C'est une grande puissance en devenir, dont le système politique repose sur une oligarchie religieuse. Il y règne un minimum de tolérance et de diversité. Les mollahs ne sont pas tous du même moule idéologique, les réformateurs n'ont pas tous abdiqué. Les femmes sont largement plus libres en Iran qu'en Arabie saoudite, voire même que dans d'autres pays de l'Orient musulman. Mais le pays entre à reculons dans le XXIe siècle, son dynamisme paralysé par le poids du conservatisme, des corporatismes et des religieux. La surprise pourrait venir de l'élection présidentielle du 12 juin, et d'une victoire des réformateurs. La surprise pourrait venir surtout d'une réponse favorable de la hiérarchie des mollahs à la main relativement tendue, offerte, par Barack Obama. Négocier d'égal à égal avec les États-Unis, couper l'herbe sous le pied à la rhétorique de guerre d'Israël, redéfinir un ordre plus juste au Moyen-Orient. Un beau projet... Le problème, évidemment, c'est qu'une telle glasnost aurait certainement un effet libérateur sur la société iranienne. Et que les mollahs ne sont pas prêts à être les Gorbatchev de l'histoire...

Chronique [ L’air du Temps ] de Zyad Limam parue dans le numéro 285 (juin 2009) d'Afrique magazine.