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Élie Domota, l'anti-pwofitasyon !

Par Michael.AYORINDE - Publié en février 2011
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Élogieux aussi, ce papier du Monde, daté du 12 février, qui a dressé son portrait moins d’un mois après le début de la grève en Guadeloupe. Sous le titre « Le Rouge et le Noir », l’article, signé Béatrice Gurrey, rappelait en ouverture que « son père était charpentier » et qu’Élie « (l’élu) Domota a pour surnom Moïse ». Messie beaucoup : le papier est devenu évangile, première pierre de la biographie officielle postée sur Wikipédia.
Il était une fois « Élie Domota (né en 1963) à Bas-du-Bourg (un quartier pauvre de Basse-Terre), troisième d'une famille de six enfants, militant au sein de la Jeunesse ouvrière chrétienne dès l’âge de 14 ans, syndicaliste guadeloupéen aujourd’hui marié et père de trois enfants, porte-parole du Liyannaj Kont Pwofitasyon ou LKP (au choix Mouvement contre l'exploitation outrancière ou Union contre le surprofit) et secrétaire général de l'UGTG (Union générale des travailleurs de Guadeloupe), syndicat majoritaire de l'île et dirigé depuis son origine par des militants issus du mouvement indépendantiste… »

La pwofitasyon. Le mot est particulièrement retentissant, et fleure bon toute l’imagerie créative antillaise. Même symbolique pour le rouge des tee-shirts LKP : la couleur des insurgés contre les troupes du Premier consul Napoléon Bonaparte venues rétablir l'esclavage en 1802.
Comme un guérillero cubain, Che Domota a donc attaqué par surprise sur tous les fronts et n’a plus jamais relâché la pression, jusqu’à la victoire finale, la hausse des salaires de deux cents euros. Porté par le soutien aussi inattendu que spontané de dizaines de milliers d’habitants de l’île en forme de papillon, lui et ses troupes ont volé la vedette pendant toute la crise.
L’histoire retiendra qu’un « Négropolitain », directeur adjoint d’une ANPE, a mené la grève la plus longue de l’histoire de la Guadeloupe, comme une guérilla sociale moderne, débutée un 20 janvier, jour de l’investiture de Barack Obama…

Domota, revenu au pays bardé de diplômes « métropolitains » (DUT de gestion, maîtrise d'administration économique et sociale, troisième cycle en urbanisme), a déjà prévenu : « Le mouvement n'est pas près de s'arrêter. Le LKP a vocation de durer. » À Paris, on prie pour qu’il n’y ait pas contagion de la révolution.
Domota rêve d’une Guadeloupe débarrassée de l’économie coloniale, capable à la fois de développer une autonomie alimentaire et d’installer un tourisme de luxe. Le destin improbable de cette île est su dans la région. Citons le Prix Nobel de Littérature Derek Walcott, originaire de Sainte-Lucie, « caillou » situé au sud de la Martinique : « La représentation de ces îles Caraïbes comme des îles-hôtels spécialement conçues pour les touristes est extrêmement dangereuse, tout comme la tendance à privilégier ce qu’on appelle l’accueil, qui implique que l’on sourie beaucoup. Il faut faire attention à ne pas transformer une île d’anciens esclaves en île de serviteurs. » Quelques semaines seulement de révolution, et la guérilla contre la profitation montrerait déjà les limites de ses contradictions ?

Par Jérôme Bourgeois