Eloukou Beyela
Designeuse et architecte d’intérieur, l’artiste ivoirienne puise dans ses racines, son quotidien et son histoire familiale pour créer des objets de mobilier originaux et des œuvres plastiques éloquentes.
Exposées à Paris, au 110 Galerie Véronique Rieffel, les créations de mobilier d’Eloukou Beyela s’inspirent d’objets familiers, emblématiques de sa culture, qui l’accompagnent depuis l’enfance: le pilon et le mortier. «Chaque midi, ma mère les utilisait pour cuisiner le foutou [plat ivoirien à base de banane et de manioc, ndlr]. Le bruit produit par ces ustensiles en bois résonnait dans mon esprit. J’ai voulu les retranscrire dans le monde du design, les déconstruire, les styliser, leur donner une autre fonction que celle culinaire, une présence différente, à travers des objets de notre quotidien: luminaire, tabouret, bureau», indique l’artiste, designeuse et architecte d’intérieur, née en Côte d’Ivoire en 1998.
Ainsi, les formes, couleurs (notamment le jaune, en référence à la préparation du foutou), matières et jeux de lumière de ses conceptions leur rendent hommage. Pour l’une de ses lampes, les courbes du mortier encadrent l’ampoule, soulignant «l’idée de broiement, de mélange». Comme sa mère emploie désormais des accessoires en métal, la designeuse a choisi ce matériau pour les fabriquer, «un challenge entre modernité et histoire». Chaque choix esthétique est motivé par une réflexion, chaque projet raconte une histoire imaginée en amont sur le papier, où elle jette ses idées, ses croquis. Cette exposition permet aussi de mettre en lumière le savoir-faire des artisans ivoiriens avec lesquels elle travaille. «Ferronnier, menuisier ou peintre thermolaqueur, chacun a son expertise. Ils sont très minutieux, à l’écoute. C’est un apprentissage mutuel.»
Dans un autre espace de la galerie, l’artiste livre une facette plus intime à travers ses oeuvres plastiques, «un rêve d’enfant qui se réalise». Composée d’argile sur du verre et de dessins, sa série de tableaux «Disparition et apparition» matérialise la présence et l’absence, le passage entre la vie et la mort. «Je voulais évoquer la perte d’un être cher. Perdre ma grand-mère m’a bouleversée. C’est à ce moment-là que j’ai trouvé mon identité artistique, en créant des oeuvres qui me ressemblent.» L’argile teintée de rouge incarne cette terre d’où nous venons et où nous retournerons; le verre cette transition invisible entre la vie et la mort; et les dessins de ces corps, de ces visages fragmentés suggèrent le tiraillement entre ces deux mondes. «J’utilise des matières brutes, avec du caractère; je me suis inspirée des termites, qui font disparaître le bois, le tissu, mais qui créent aussi leur architecture.»
Celle qui a grandi entre Grand-Bassam et Abidjan, diplômée de LISAA, l’Institut supérieur des arts appliqués de Paris, est aujourd’hui architecte d’intérieur au sein du pôle conception d’une entreprise en région parisienne. En 2023, elle est lauréate du concours Young Designers Workshop imaginé par le maestro designer ivoirien Jean-Servais Somian, auprès duquel elle apprend. Du plus loin qu’elle se souvienne, dès l’école maternelle, Eloukou Beyela a voulu être artiste quand elle a trempé son pied dans la peinture pour en poser l’empreinte sur une feuille de papier. Depuis, elle dessine comme elle respire. «C’est une manière de m’échapper. Introvertie, dans ma bulle, j’ai toujours créé, rêvé, imaginé, vécu pour l’art.»
110 Galerie Véronique Rieffel– 110, rue Saint-Honoré, Paris 1er.