Enfance arabe

Un roman dessiné et un titre qui frappe : L’Arabe du futur . Riad Sattouf, auteur et dessinateur de BD, mais aussi réalisateur de films, n’y va pas par quatre chemins. Vendre de l’Arabe dans une France où l’extrême droite a récolté 25 % des voix lors des élections européennes en mai dernier, et être en tête des ventes de livres dans ce même pays a de quoi surprendre. « Il reste tout de même 75 % de lecteurs potentiels, s’amuse le dessinateur. Le fait d’avoir mis “arabe” en couverture, ça interpelle, personne n’emploie ce mot. C’est marrant, les gens utilisent tout un tas d’expressions, du verlan comme “rebeu” ou “beur”, des termes comme “rabza”, mais jamais le mot “arabe” ! Pourtant, c’est un joli mot, il a un sens et porte une histoire. L’idée était de proposer au public une vision différente. De plus, les gens d’origine arabe aimeraient bien qu’on présente autrement le monde arabe. »
La majeure partie de ses BD sont des autobiographies déguisées (No sex in New York en 2004, Retour au collège en 2005) ou au premier degré, comme Ma circoncision (2004), dans laquelle la figure paternelle apparaît pour la première fois dans son œuvre, manière de préambule à son dernier ouvrage. Ainsi pénètre-t-on avec ce nouvel opus dans l’intimité de cet enfant à double culture, né à Paris il y a 36 ans, français par Maman, syrien par Papa, qui a passé sa jeunesse à faire des allers-retours entre la Bretagne et les pays arabes où le chef de famille était amené à travailler. « Je voulais raconter l’histoire de mon père. Il était originaire d’un village très pauvre près de Homs en Syrie et était l’un des rares à savoir lire et écrire parmi ses frères et sœurs. Bon élève, il a réussi à décrocher une bourse pour terminer ses études à Paris où il a obtenu un doctorat d’histoire. » Cet homme, fasciné par Nasser et le panarabisme, « voulait participer à la construction de l’Arabe du futur, il croyait en l’éducation pour tirer le peuple de l’ignorance à laquelle lui-même a échappé. Mais raconter tout cela m’a pris du temps car je n’arrivais pas à trouver le bon ton. »
Après un détour par le cinéma en 2013 pour son deuxième film, Jacky au royaume des filles, retour donc aux cases de BD. Riad Sattouf narre dans L’Arabe du futur ses pérégrinations de la France à la Libye de Mouammar Kaddafi, au tournant des années 1980, et la Syrie de Hafez al-Assad, afin de suivre son père, ce professeur formé à la Sorbonne, dans son combat contre l’illettrisme. « C’est ainsi qu’on s’est retrouvés à Tripoli, où il avait été recruté comme professeur d’histoire. Certes il y avait cette volonté d’instruire, mais aussi un salaire, considérable à l’époque, de 3 000 dollars par mois. Il pensait associer le côté militant au business. »
De cet itinéraire, il en a tiré une aventure drôle, mais aussi surprenante, d’une honnêteté touchante, celle d’un enfant vivant dans des pays arabes il y a plus de trente ans. Les impressions de ce garçonnet qui avait entre 2 et 4 ans à l’époque sont aussi précises que les traits des dessins de l’adulte qu’il est devenu. « Je voulais transmettre un truc humain, sans donner dans la condamnation définitive, et évidemment pas dans le panégyrique. Étrangement, j’ai énormément de souvenirs de ma petite enfance, je ne vais pas dire que je me rappelle tout, mais j’ai des réminiscences de chaleur, de parfums ou de sons. Des choses sensuelles au final, des ambiances avant tout. Je revois mon père lire le petit Livre vert et ma mère se moquant de lui… » Riad Sattoufa donc exploré sa mémoire, avec ce que cela peut impliquer comme erreurs et approximations : « Mais mes proches m’ont commenté ce que j’y ai raconté, et j’inclurai certainement leurs remarques dans la suite des livres ! » Si le ton peut paraître enfantin – ou presque –, on ressent au fil du récit unecertaine violence, dissimulée par un trait d’humour salvateur.« Je voulais garder ce regard candide de l’enfance, de naïveté,face à des faits parfois très durs, et l’accompagner d’une voix off expliquant le contexte. » Son sens de la description est affûté, surtout lorsqu’il détaille la bêtise humaine. « Quand on débarque môme là-bas, tout est nouveau, on a un regard neutre et merveilleux, même sur des choses horribles. »
Mais pas de nostalgie chez lui. Riad n’est plus retourné ni en Libye, et encore moins en Syrie. « Je ne me rends jamais dans les pays arabes parce que j’ai un problème avec l’absencede démocratie. Les habitants de ces pays vivent des situationshorribles. Si j’avais été une jeune femme passionnée de poli-tique et que j’avais voulu devenir présidente par des moyens démocratiques, dans n’importe lequel des pays arabes actuels, cela aurait été impossible. Je suis très attentif à tout ce qui touche à la liberté des gens, et surtout des jeunes. Je refuse “ce relativisme culturel” qu’on accorde parfois au monde arabe, qui serait “inapte” à la liberté… Je ne suis tou-tefois pas intéressé par la politique en tant que telle ! Ma seuleréaction est de ne pas aller dans ces pays. »
Passionné d’actualité, il voit dans les révolutions arabes un bel espoir. « C’est une belle idée que de vouloir prendre son destin en main ! Mais tant que ça n’est pas accompagné par une véritable révolution sociale, notamment dans les rap-ports familiaux, j’ai l’impression que les systèmes politiques ne changeront pas. À mon sens, il faut se confronter aux vrais problèmes comme celui de la place de la femme dans la société. Le poids de la religion est énorme, mais comme il l’était en France il y a à peine 50 ans ! On met beaucoup de choses sur le compte de la religion, mais cela n’est pas le pro-blème. C’est au patriarcat qu’il faut s’attaquer… »
Après ce premier opus d’une série de trois – « C’est mon éditeur qui a parlé de trois volumes, cela sera peut-être un peu plus long ! Je ne sais pas encore. » –, Riad planche d’ores et déjà sur le scénario de son troisième long-métrage. « Si mon premier film Les Beaux Gosses, en 2009, a rencontré son public, le dernier, Jacky au royaume des filles, n’a pas marché. Des féministes s’en sont plaintes et en ont parlé comme d’un film macho, des antiféministes l’ont traité de féministe… J’ai eu le droit à la totale. Mais bon, j’ai aussi fait des BD qui ne se sont pas arrachées non plus. Du coup, je me suis remis au travail et je bosse sur un nouveau scénario. Parallèlement, je suis en train de finaliser un nouveau volume de Pascal Brutal, mon héros de BD, qui doit sortir en septembre et d’attaquer la suite de L’Arabe du futur ! »
Par Belkacem Bahlouli