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Interview

Euphrasie Kouassi Yao :
« Renforcer le leadership des femmes»

Par Cédric Gouverneur - Publié en juin 2022
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Kouassi
DR

 

Les 23, 24 et 25 juin au Sofitel d’Abidjan, le Compendium des compétences féminines de Côte d’Ivoire (COCOFCI) fête son 10 e anniversaire. Récompensé par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), le Compendium a été fondé par Euphrasie Kouassi Yao. Ancienne ministre, conseillère spéciale du président Ouattara chargée du genre, elle répond à nos questions.

Vous militez depuis trois décennies pour la justice et l’égalité entre femmes et hommes. Quand avez-vous véritablement pris conscience de ces inégalités de genre ?

Lorsque j’enseignais au lycée, j’avais remarqué que beaucoup de jeunes filles étaient brillantes. J’imaginais donc, tout naturellement, les retrouver en place aux postes à responsabilité au sein des ministères. Mais non : elles n’y étaient pas plus de 10 ou 15 %, contre 85 à 90 % d’hommes. Cet énorme décalage m’a fait prendre conscience de l’ampleur du problème. J’ai étudié le développement féminin en Israël, puis en Belgique, en 2001- 2002. Or, la méthodologie des études de genre montre comment on peut, concrètement, faire évoluer la place des femmes dans la société. L’approche du genre permet de relever les inégalités économiques, sociales, politiques et culturelles entre femmes et hommes, et de bâtir une stratégie pour les corriger. Aussi, j’ai été orpheline de mère dès l’âge de 2 ans : chaque femme que je rencontre est, à mes yeux, une maman. Je ne me définis pas comme féministe, car alors on ne prend plus en considération les hommes. Je me définirais plutôt comme une agente de développement horizontal, durable, et pour chacun.

Depuis que vous menez ce combat, quelles évolutions avez-vous observé dans la société africaine ?

Sous l’égide du président de la République ivoirienne, nous avons développé un compendium [« condensé d’un corpus de connaissances », ndlr], dont l’objectif est de briser le plafond de verre, de renforcer la visibilité, la participation, le leadership des femmes dans la gestion des affaires publiques et des entreprises privées. De là, de nombreuses structures ont commencé à éclore. Nous identifions les secteurs où les femmes sont sous-représentées, comme celui des mines. Nous avons donc créé une structure de genre au niveau du ministère des Mines, du Pétrole et de l’Énergie, historiquement très masculin. Aussi, nous fournissons des outils aux décideurs qui souhaitent nommer des femmes : nous avons mis en place une base de données en ligne avec les compétences de plus de 15 000 Ivoiriennes (CV, langues, qualifications, etc.), et avec l’aide de l’Organisation internationale de la francophonie, nous comptons élargir cette base à 5 millions. Les profils sont vérifiés à l’aide de l’Institut national de la statistique de Côte d’Ivoire. À noter qu’elles ne peuvent être contactées directement par un employeur, mais que cela se fait via le Compendium. L’idée est également de créer, par ce biais, du réseautage au bénéfice des femmes. Sur le plan civique, avant les élections de 2016, le président de la commission électorale m’avait fait remarquer que peu de femmes étaient inscrites sur les listes électorales : grâce à la mobilisation de notre réseau, nous sommes passés en trois semaines de 37 à 49 % d’inscrites sur les listes électorales ! Tous partis politiques confondus, nous avons contribué à faire doubler le nombre de candidates aux élections : 205 en 2010, 328 en 2016, et 452 en 2021. Lors de la rédaction de la nouvelle Constitution de 2016, j’ai fait inscrire le genre dans le texte, y compris dans le préambule.

Le mot « compendium » est très rarement employé dans la langue française. Pourquoi ce choix dans l’appellation de votre structure ?

Un compendium, c’est le condensé de ce qu’il y a de meilleur : l’ensemble des meilleures femmes, mais aussi des femmes qui aspirent à être « meilleures ». Notre annuaire disponible compte 1 300 cadres de haut niveau. Mais nous n’oublions pas que nous vivons dans un monde d’hommes et de femmes ! Si les premiers ne comprennent pas ce que nous accomplissons pour l’équité, la société ne peut pas avancer. Avec nos quelque 200 experts en ingénierie du genre, nous avons donc formé des généraux de l’armée, des directeurs, des décideurs à ces problématiques : ils seront capables de conduire des programmes à fort impact. Non seulement les femmes entrent désormais dans la gendarmerie et à l’école militaire préparatoire, mais elles y sont souvent premières de leur classe. Nous avons également mis en place le programme Genre et compétitivité des entreprises (GECE), qui permet aux sociétés de renforcer leurs performances et leur management. Sous l’égide du cabinet de la première dame, le Fonds d’appui aux femmes de Côte d’Ivoire (FAFCI), doté d’un capital de 20 milliards de francs CFA, accorde des prêts à 1 % d’intérêt aux entrepreneuses, notamment pour les aider à passer du secteur informel au secteur formel. Notre programme crée des émules partout en Afrique : au Sénégal, au Togo, en Guinée, au Ghana, en République démocratique du Congo, au Liberia, au Mali, au Cap-Vert, au Zimbabwe…

Vous avez aussi misé sur les femmes afin de favoriser la paix dans le pays.

Ce sont les actrices de la paix car elles gèrent la famille, elles sont mères. À Abidjan, lors de la crise électorale, nous avons formé des humoristes pour qu’ils et elles apaisent les dissensions avec leur humour. Nous avons également formé des femmes rurales à la gestion des tensions locales. C’est le programme de Conscientisation Formation Actions pratiques (COFA). Les retours que nous avons eus étaient merveilleux ! Grâce aux outils de conciliation que nous leur avons appris, elles ont pu résoudre des contentieux locaux qui perduraient depuis des années.

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Quels ont été les impacts de la crise du Covid-19 sur les femmes ?

En mars-avril 2020, j’avais lancé l’initiative Banque d’amour et de solidarité efficace (BASE), un mouvement citoyen afin de promouvoir la bienveillance et la solidarité dans le contexte de la pandémie. Les femmes avaient par exemple particulièrement souffert de ne pas pouvoir se rendre au marché à cause des confinements, ce qui avait eu un impact sur leur vie sociale. Nous avons commencé à confectionner des masques en tissu et en papier. Puis nous avons créé une banque d’insuline pour les personnes atteintes de diabète [particulièrement vulnérables au Covid, ndlr].

Quel sera le programme du 10 e anniversaire du Compendium ?

Il y aura une cérémonie d’ouverture en présence et sous le haut patronage du président de la République ivoirienne. Un colloque sur la valorisation des compétences féminines et leurs impacts sur la transformation de l’Afrique, par exemple dans la lutte contre le réchauffement climatique. On a ainsi identifié 500 leadeuses rurales, qui peuvent faire beaucoup au quotidien pour cette lutte. Il faut toujours débuter par la conscientisation : tant que les gens n’ont pas conscience des problèmes, ils ne peuvent pas agir.