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Ce que j'ai appris

FREDDY TSIMBA

Par Sabine.CESSOU - Publié en janvier 2017
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Gwenn Dubourthoumieu

Le plasticien Congolais Freddy Tsimba, 49 ans, se distingue par ses sculptures en métal faites à partir de douilles, clés, cuillers, machettes et autres pièges à souris… Son parcours l’a amené à développer son propre style, qui lui vaut une belle renommée internationale.
 
› J’ai grandi à Matongé, au coeur de la « cité », à Kinshasa, septième d’une famille de 15 enfants. Petit, j’aimais les travaux manuels et le dessin. Les parents de mes amis venaient me demander des jouets que je faisais contre un peu d’argent. J’ai passé mon enfance assis par terre à tordre des fils de fer pour fabriquer des voitures, des vélos, des copies à l’identique. C’est devenu ma seconde nature.
 
› À 14 ans, on a commencé à me dire que ce n’était pas de mon âge. Comment continuer ? Le cinéma du quartier manquait d’affiches pour annoncer les films. J’ai proposé d’en dessiner, au feutre et au crayon, ce qui m’a valu une petite notoriété. Ma famille, elle, pensait que j’étais un raté ! Un ami de l’une de mes soeurs m’a remarqué, et demandé des dessins pour les montrer à l’académie des Beaux-Arts. J’ai dessiné des fleurs. L’académie m’a téléphoné.
 
› Dans cette grande école, j’ai découvert que n’étais pas seul à vouloir passer ma vie dans le rêve. J’en ai tiré une forme d’assurance, mais aussi de remise en question. Étudier l’art tel qu’il a été pratiqué en Occident et au Congo m’a donné envie d’être surtout moi-même. Je me suis dit : « Soit tu continues à faire ce que tu as appris et tu es dans la masse, soit tu fais autre chose et tu seras toi-même, connu ou pas. »
 
› J’avais envie de travailler la ferraille. J’ai appris le métier de fondeur pendant cinq ans, après sept ans aux Beaux-Arts. Un jour, j’ai vu à la télévision des femmes courir derrière un avion qui déversait de la nourriture en Somalie. Je voulais reproduire l’une d’elles et évoquer la guerre. D’où mon choix de sculpter avec des douilles. J’ai connu plus tard une fille de 19 ans, violée à l’est du Congo et enceinte. Elle vivait dans un lieu pour réfugiés à Kinshasa. Je l’ai suivie pendant toute cette grossesse, dont elle était victime. Elle a appelé l’enfant Freddy, mais il est mort plus tard. De là viennent mes sculptures de femmes enceintes. En 1998, je suis parti chercher des douilles dans une zone rebelle où je me faisais passer pour un fou en haillons. Je me suis fait arrêter et j’ai fait croire aux militaires que je voulais faire des marmites avec les douilles. On m’a sorti de prison en m’ordonnant d’en faire une, pour voir si je disais vrai. Ça a dû plaire puisque le commandant a voulu vendre mes marmites en Ouganda… Pendant trois mois, j’en ai fabriqué pour retrouver ma liberté.
 
« Vos oeuvres font peur », m’a-t-on dit au début. J’ai tenu bon et remporté le prix de la Francophonie en 2001 au Canada. Chaque douille a un sens, une mémoire. La balle a été tirée. La personne visée est morte – ou pas. Faire des corps avec cette idée de la mort, c’est les ressusciter. J’aimerais faire tout un quartier de maisons en machettes – un instrument à double sens, qui a donné la mort mais qui sert d’abord et avant tout à cultiver la terre.
 
› Je voyage beaucoup mais reste basé à Kinshasa. Une ville moderne, un vaste laboratoire de créateurs dans lequel chacun accepte l’autre comme il est – qu’il s’agisse des jeunes ou des vieux, des sapeurs ou pas, des femmes et des homosexuels. Mon bureau, ce sont les rues de Kinshasa, Port-au-Prince, Porto-Novo, Johannesburg.
 
› J’ai été convoqué par l’Agence nationale de renseignements (ANR) à cause du côté politique de mon travail, même si je ne suis pas impliqué dans les débats. J’ai fait une sculpture de « politichien » avec une caméra dans la tête parce qu’il voit tout. Un bras long descend jusqu’à terre, l’autre tient une mallette. Il ressemble à un zombie et n’est pas humain. Pourtant, le Congo est un pays magnifique qui mérite la joie et le rire.