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Grosse fatigue

Par fridah - Publié en juin 2011
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On nous l’avait dit, mais on ne l’avait pas cru ; la révolution n’est pas une mince affaire ; saoulé du nouveau millésime des ellipses gouvernementales et du Tunisian Cancan des partis politiques, le Tunisien a la migraine et perd aussi bien son arabe que son latin. Pire, il est en mode contorsionniste ; entre infos et intox, il effectue un perpétuel grand écart mental, moins éreintant quand même que l’angoisse qui le vrille et l’étreint quand l’actualité devient muette. Il ne comprend plus rien et se demande s’il y a vraiment quelque chose à comprendre à cet objet informe et non identifié qui s’installe dans sa vie : la politique. Lui qui vivait tranquillement avec un bagage de certitudes, n’en a plus que deux : il a fait la révolution et n’a plus confiance dans ses gouvernants. Il est comme cette paysanne du film d’Ariane Mnouchkine, 1789, qui, voulait écrire le nom gabelle dans une lettre au roi mais suspendait son geste en disant, avec une profonde détresse, « Mais c’éti comment qu’on écrit un gue ? »… Le paquet cadeau de la révolution tunisienne a été livré sans le mode d’emploi de la transition vers la démocratie, et le montage d’un projet de société ressemble de plus en plus à un produit en kit mal ficelé, acheté à la hâte en grande surface avec, dans l’enveloppe surprise, quelques barbes et autres postiches.En épousant la liberté, le 14 janvier, les Tunisiens voulaient le meilleur et le pitre mais plus jamais le pire. Ils retrouvaient un tel humour et une telle créativité qu’une amie, à force de rire, disait : « On dirait qu’on a tous fumé la moquette… » Cette belle euphorie s’est envolée avec les giboulées de mai. Bien sûr, on le sait, il n’y a plus de saison ; sur la Tunisie, il pleut à verse, au propre comme au figuré. Tant mieux, cette année, les fruits seront gorgés d’eau, mais le Tunisien voudrait plutôt se rafraîchir à la mer de sérénité. D’ailleurs, certains, las des montagnes russes qu’emprunte la transition vers la démocratie, seraient bien preneurs d’un aller simple à destination de… la Lune. Tout, plutôt que de continuer avec le charivari de la politique qui, sans y être conviée, a pris ses quartiers de printemps dans la vie de chacun. En quête d’eau et de gaz à tous les étages, les Tunisiens ont déménagé ; désormais ils vivent à l’abri du mur de Facebook, celui de toutes les lamentations et de toutes les rumeurs de sources sûres. Des instances consultatives aux noms à rallonge, un gouvernement transitoire champion de l’hermétisme, plus de 70 partis ressemblant à des coquilles vides, ont battu en neige le soufflé de la révolution, mais c’est la transparence qui semble battue en brèche par l’insoutenable légèreté du gouvernement. Les commissions proposent, le gouvernement recommande, mais qui dispose ? Mystère et boule de gomme. L’exécutif, accompagné par les choeurs dissonants des partis politiques, contre, systématiquement, les instances chargées des élections. Le pays en quête d’équilibre ploie sous les coups de théâtre et les ondes de choc. « C’est un match de foot, les partis occupent les virages, le peuple est en tribune mais on ne sait plus qui joue sur le terrain », schématise Mohamed, ingénieur originaire de Gafsa, tandis que Yacine, un binational, très énervé, affiche « aux burnes citoyens » sur son statut Facebook. Le Tunisien râle, et c’est une bonne nouvelle, signe que la démocratie est en route, même si certains fredonnent l’air des Poppys « Non, non rien n’a changé, tout, tout a continué… » Plus de machine arrière possible ; le ticket tunisien est plus que jamais valable. Le pays est en train d’accoucher d’une démocratie par le siège ; dans la course au fauteuil, enjeu des élections de la Constituante, le peuple semble avoir été oublié sur le bord de la route. Le 14 janvier, c’était il y a cent jours… il y a cent ans.

Par FRIDA DAHMANI Journaliste tunisienne