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HABIBA GHRIBI Ce qui compte, c’est la « gagne » !

Par Michael.AYORINDE - Publié en octobre 2012
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ELLE A DES ABDOS ENBÉTON et un mental d’acier. Mais, sous le crachin inhabituel de Tunis, elle apparaît, malgré son 1,74 mètre, toute frêle, désarmante de fraîcheur et de spontanéité. Entre une visite à sa fédération d’athlétisme, son entraînement et une réception en l’honneur des athlètes tunisiens médaillés aux Jeux olympiques, à l’ambassade du Royaume-Uni, elle prend le temps de s’attabler en terrasse et fait oublier son retard tant elle paraît heureuse. Volubile, resplendissante et drôle, elle est comme une petite cousine qu’on retrouve après une absence. Habiba Ghribi, c’est d’abord 49 kg d’énergie, un sourire qui cache un caractère bien trempé et une opiniâtreté à toute épreuve.

Le 6 août dernier, aucun bookmaker ne la considérait comme favorite du 3 000 mètres steeple des JO d’été de Londres. Neuf minutes huit secondes et trente-sept centièmes plus tard, elle décroche la médaille d’argent. Historique ! Première Tunisienne à remporter un tel titre, elle réédite le même exploit, dix jours plus tard, à la Ligue de Diamant d’athlétisme, à Stockholm. « J’avais le podium en tête dès le départ, mais les derniers mètres ont été incroyables. Durant une compétition, on ne pense pas : en fait, on n’en a même pas le temps.Notre préparation est telle qu’elle met en place des mécanismes forts. Tout devient presque instinctif, même au niveau stratégique pendant la course. Après, c’est un immense bonheur, indescriptible », affirme celle qui a mis plusieurs jours à mesurer la portée de sa performance.

« Dans l’atmosphère des Jeux et avec la présence de tous les médias du monde, j’ai puisé une motivation supplémentaire. Il m’a semblé important de montrer les capacités de la femme arabe », ajoute Habiba, qui tient son engouement pour l’athlétisme d’un grand-père passionné de sport, mais également d’une sorte de jeu qu’elle pratiquait sur le chemin de l’école : « À la campagne, dans la région de Kairouan, où je suis née, nous habitions loin de l’école, je m’entêtais à y arriver la première. Mon astuce était de faire le trajet en courant. Je faisais 14 km par jour ! Depuis, j’aime gagner », raconte celle qui ne supporte ni l’immobilisme ni la passivité.

Discrète, elle évoque, aussi, à demi-mot, une enfance choyée où la bonne humeur et la ténacité propres aux originaires de Kairouan adoucissaient des conditions de vie modestes. La famille croit à l’ascenseur social et s’installe à Sfax pour que les enfants fassent des études. C’est là que Habiba se fait remarquer pendant les compétitions scolaires, avant d’intégrer une formation sportive. « Mes parents ont été mes premiers supporters et le sont toujours. Ma famille est un repère essentiel. » Après sa victoire à Londres, elle a d’ailleurs lancé un retentissant « Je vous aime » en direct sur Al Jazeera à l’attention de ses parents, qui n’ont pas fini de s’inquiéter du régime quasi militaire qu’elle s’impose.

Mais, pour elle, la préparation physique ne suffit pas : « Tout est une question d’état d’esprit. Il faut apprendre à se battre avec soi-même, accepter les sacrifices. C’est ce qui manque parfois aux graines de champion qui pourraient s’illustrer mais qui flanchent dès qu’il s’agit d’adopter une hygiène de vie ou de s’éloigner de la famille pour un encadrement professionnel. Il n’y a pas de place pour le sentimentalisme quand on vise la performance.»

La vice-championne du monde sait de quoi elle parle, elle qui est revenue, à force de volonté, à son plus haut niveau malgré des blessures importantes aux pieds. « En compétition, il ne s’agit pas de participer mais de gagner. Sur les circuits, on se connaît toutes. Personne n’est impressionné par les titres. On doit sortir à chaque fois ce qu’on a dans le ventre. Je n’ai aucun complexe par rapport à cela. Il faut avoir la “gagne”, c’est essentiel. Je vais au-delà de mes limites pour m’imposer, c’est ma devise », insiste la spécialiste de fond et demi-fond qui évolue au club de Franconville, en France, depuis 2009, et qui n’envisage pas de s’éloigner de l’athlétisme une fois qu’elle aura quitté les pistes.

Aujourd’hui, elle a gagné en popularité, est devenue l’un des symboles de la femme libre et conquérante alors que le statut de la femme en Tunisie est remis en question par les radicaux. Insultée par des islamistes qui lui reprochaient de participer à une compétition aux côtés d’hommes et de montrer ses jambes dans une tenue indécente et provocatrice, elle rétorque, à ceux qui ont réduit son exploit à un sacrilège vestimentaire, que «quand on fait honneur à son pays on n’a rien à craindre, et la victoire reste la meilleure réponse aux critiques ».

On l’aura compris, à 28 ans, Habiba Ghribi est une battante. Et si elle vient d’annoncer son divorce avec son époux, l’Algérien Khaled Boudhraa, qui était son entraîneur avec le Roumain Constantin Nourescu, elle n’en a pas moins envie de construire son avenir de femme. « Ce serait bien que mes enfants soient aussi des sportifs, mais ce sera leur choix », confie-t-elle avec des étoiles dans les yeux. En attendant, la sportive de haut niveau compte bien remporter deux championnats mondiaux et battre le record du monde avant de retrouver les JO de 2016.

Par Frida DAHMANI