Aller au contenu principal

Il ne faut jamais dîner avec le diable

Par Cbeyala - Publié en février 2011
Share

Avant, avant, il y eut ce débat stupide sur l’identité nationale, parfaitement mené par notre sémillant ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire. Il était tout content, notre ministre, de voir les Français se saisir à bras-le-corps de ce sujet dangereusement extraordinaire ; même les chats appartenant aux Français « de souche » durent exposer leur point de vue de chat, car certains en profitèrent pour énoncer, à hauts et intelligibles propos, des pensées qui autrefois avaient besoin d’un décodeur pour révéler leurs nauséabonds secrets.

Ainsi, il fut clairement établi que les Français issus de l’immigration n’étaient pas des tricolores accrédités, qu’il manquait à leur pedigree, une ou deux des couleurs du drapeau national. Le Pen père et fille, leaders de l’extrême droite, vaillants Français qui se sont toujours battus pour la pureté de la nation, sortirent toutes voiles dehors et naviguèrent, portés par les vents violents du rejet de l’Autre, de la xénophobie et du racisme ; c’était somptueux, majestueux aussi, cette manière qu’ils eurent de clamer sur les ondes que notre ministre de l’Identité nationale leur avait volé leur sujet de prédilection, qu’il avait pillé leur idée, dont l’objectif avait toujours été de séparer le vrai de l’ivraie, à savoir les Français de souche de ces descendants d’immigrés, qui n’étaient que des excroissances hideuses sur le beau visage de la République.

Et avant, avant les élections régionales, il y eut cette histoire d’un Nègre, Ali Soumaré, un Français d’origine quelque chose. Le parti socialiste l’avait fait chalouper sur sa liste en Île-de-France, en espérant qu’en l’affichant il démontrait ainsi que la gauche ne fricotait pas avec les idéaux hitlériens, qu’elle aimait tout le monde – les Nègres, les Arabes, les pieds-bots, les crabes et même les aveugles –, qu’elle était pour l’égalité dans la malchance originelle. Et c’était très beau, ce monde socialisant où l’arc-en-ciel prenait l’humanité par la main pour la conduire à la source même de la tolérance, du respect et de l’amour de l’Autre. Mais, comme l’univers était plein de jaloux qui ne trouvaient leur bonheur qu’en mettant du fiel dans le pain d’autrui, une voix banale s’éleva et clama que le Soumaré n’était qu’un délinquant comme un autre, qu’il avait un casier judiciaire plus long que la queue du diable, qu’il en avait commis des délits, des malversations et des forfaits, à faire rougir Satan et ses péchés. On mit ses tripes à cuire au soleil, seulement, comme par ici le soleil était si rare, elles ne s’asséchèrent pas, mais pourrirent en ajoutant un peu plus de fétidité au débat politique.

La putréfaction se collait jusqu’à la moindre particule de la pensée. Soucieux de se débarrasser de cette pestilence véritablement pestilentielle, ils décidèrent de régler des comptes ou des compteurs. Certains allèrent aux urnes dans l’espoir de désinfecter le pays de la puanteur nègre ou arabe ; ils votèrent pour Le Pen, père et fille. D’autres portèrent massivement leurs suffrages à la gauche, parce que de cette France raciste ils n’en voulaient pas. Plus de la moitié des électeurs, inquiets des risques d’une septicémie, s’en allèrent pique-niquer, loin des urnes. Ce fut ainsi que la droite républicaine perdit les élections régionales. Comme quoi, il ne faut jamais dîner avec le diable, même muni d’une très longue cuillère.

Chronique [ POING FINAL ! ] de Calixthe Beyala parue dans le numéro 295 (avril 2010) d'Afrique magazine.