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Ce que j'ai appris

Imed Alibi

Par Astrid Krivian - Publié en juillet 2022
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« On n’est jamais arrivé, l’apprentissage est infi ni ! » CEDRIC MATET
« On n’est jamais arrivé, l’apprentissage est infi ni ! » CEDRIC MATET

Le percussionniste tunisien puise dans les musiques du monde entier pour nourrir son groove unique. Rencontre des rythmes nord-africains et de l’électro, son nouvel album est une ode à la migration et au continent.

Né à Meknassy, j’ai commencé à jouer des percussions à 12 ans. J’ai été imprégné par les rythmes, très présents au quotidien. C’était un apprentissage en autodidacte, oral, sur le terrain. Ensuite, j’ai mené des recherches auprès de maîtres de percussions en Turquie, au Kurdistan, avec patience et curiosité. À 22 ans, j’ai eu la chance de partir étudier la littérature anglaise à Montpellier. J’ai alors exploré le métissage, la fusion. Le melting-pot en France m’a permis de côtoyer des musiciens sénégalais, cubains…

Frigya, Imed Alibi et Khalil Epi, Nashwa. DR
Frigya, Imed Alibi et Khalil Epi, Nashwa. DR

J’ai travaillé avec des artistes d’horizons très divers : le groupe de rock Les Boukakes, Emel Mathlouthi, Rachid Taha, Natacha Atlas, Kel Assouf, le groupe réunionnais Ziskakan, Justin Adams… Dans le rythme, il ne faut pas être puritain, mais rester ouvert. On n’est jamais arrivé, l’apprentissage est infini ! J’adore le jeu persan, indien, cubain. Chaque culture a ses techniques, ses styles. Dans chaque pays où je voyage, je m’achète une percussion locale et la mélange avec bonheur à mon set.

J’ai été nommé chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres par le ministère de la Culture français en 2021. Après deux ans de pandémie, de multiples annulations de concerts et reports de festival, c’était une bonne surprise ! Cette distinction m’a rappelé que j’avais accompli pas mal de choses dans mon parcours de percussionniste, de compositeur. Mais aussi en tant qu’acteur culturel, investi à créer des liens entre la France et la Tunisie, le Liban, le Maroc… J’ai notamment dirigé les Journées musicales de Carthage en 2019, dédiées à l’accompagnement des jeunes talents. Puis, j’ai été directeur du Festival international de Carthage. Les musiciens ont tendance à se démoraliser facilement. On a parfois besoin de ce genre de reconnaissance.

Pendant longtemps, les musiques populaires du pays étaient rejetées au niveau institutionnel. Pourtant, elles font vibrer la rue, les mariages, les scènes du quotidien. La reconnaissance officielle se limitait aux musiques ottomanes ou arabo-andalouses, tel le malouf. Une nouvelle vague artistique apparue après la révolution s’est réapproprié ce patrimoine populaire : le stambeli (équivalent du gnawa marocain), le mezwed (sorte de cornemuse), les musiques berbères du Sud, le bendir (percussion)… Certaines rythment désormais les soirées en boîte de nuit.

Conçu avec Khalil Epi, Frigya puise dans des rythmes traditionnels nord-africains, tunisiens en particulier. Notre approche contemporaine fusionne le son authentique des percussions avec l’électronique. Le titre de l'album renvoie au nom d'une région du nord-ouest de la Tunisie, où les gens du Sud migraient afin de trouver de l’eau pour leur cheptel. Un carrefour de rencontres entre musiques du Nord et du Sud.

Ce nom signifie aussi « Afrique », en derja. Menée essentiellement par les jeunes, la recherche de l’africanité fait partie des changements majeurs post-révolution. Avant, dû à des appartenances politiques – les mouvements panarabistes des années 1950-1960 –, l’Afrique était perçue comme exotique, tel un autre continent. Or, la Tunisie est profondément africaine et méditerranéenne. Une grande partie de nos rythmes sont africains, jusque dans les techniques de frappe.