Incontournables infrastructures
Énergie, transport routes, ports et aéroports , assainissement, communication…Elles sont la clé du développement à long terme du continent. La déclaration de Luanda, adoptée fin octobre, doit impulser une nouvelle dynamique grâce à la création d’une «facilité de financement».
Selon la Banque africaine de développement (BAD), le continent aurait besoin, chaque année, de 68 à 108 milliards de dollars supplémentaires afin de financer ses besoins en infrastructures. La Banque mondiale estime que «les services liés aux infrastructures, notamment les transports, restent sous-développés. La pauvreté est exacerbée par le manque d’accès aux infrastructures publiques, notamment aux systèmes d’assainissement». Ainsi, «37% des denrées alimentaires produites localement sont perdues en cours de route en raison de la lenteur du traitement des marchandises, de la médiocrité des infrastructures et de barrières non tarifaires», ajoute l’institution financière. Selon elle, «des investissements prioritaires sur 50 points névralgiques 10 ports, 20 postes-frontières et 20 tronçons routiers pourraient permettre de diminuer ces pertes et de transformer les chaînes logistiques au bénéfice de 58% des Africains en situation d’insécurité alimentaire». Combler le déficit en infrastructures se traduirait par une hausse de la croissance économique d’au moins 2%. Or, les besoins en infrastructures électricité, route, eau et assainissement, numérique, etc. ne cessent d’augmenter, au rythme conjugué des croissances économique et démographique. La mise en place de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) devrait ainsi, selon la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (UNECA), faire croître la demande en électricité de 8% d’ici 2035, puis de 14% d’ici 2040. Apporter des réponses pérennes à ces questions a constitué l’objectif principal du troisième sommet sur le financement des infrastructures en Afrique, coorganisé par l’Agence de développement de l’Union africaine (AUDA-NEPAD) et la Commission de l’Union africaine (CUA), qui s’est tenu du 28 au 30 octobre à Luanda sur le thème «Capital, corridor et commerce: investir dans les infrastructures pour la ZLECAf et la prospérité partagée». Les participants ont en effet souligné un paradoxe: «L’Afrique ne manque pas de capital, le continent dispose de 4000 milliards de dollars d’épargne», a rappelé le Nigérian Samaila Zubairu, président de l’Africa Finance Corporation (APC), institution de financement multilatérale panafricaine. L’économiste ougandais Trevor Lwere, membre du think tank africain Development Reimagined, basé en Chine, estime que les mentalités des banquiers en activité sur le continent doivent changer: «Cela n’a aucun sens d’immobiliser l’épargne des Africains sans l’investir au service du développement.»
Le chef d’État angolais João Lourenço, également président de l’Union africaine, a estimé dans son discours d’ouverture que «ce qui manque, ce sont les projets bankables, les politiques publiques et la clarté nécessaire afin de donner confiance aux investisseurs», invitant ces derniers à venir s’intéresser aux opportunités offertes notamment par le mégaprojet du corridor de Lobito (entre le port angolais de Lobito et la ville minière congolaise de Kolwezi). Le président Lourenço a par ailleurs annoncé la création de l’Angola Export and Trade Facility, une structure dédiée à la promotion de la coopération régionale et du commerce. Le président de la Commission de l’UA Mahamoud Ali Youssouf a ajouté que «le financement extérieur demeure utile, mais il ne doit pas constituer la force motrice de notre développement. Nous devons évoluer d’une logique d’assistance à une logique d’alliance, où les partenaires extérieurs alignent leurs engagements financiers sur les priorités définies par l’Afrique elle-même». Le directeur de la division technologies, innovation et connectivité de l’UNECA Robert Lisinge (Éthiopie) a souligné l’importance cruciale de la coopération interafricaine dans ce domaine: «L’intelligence artificielle requiert une forte quantité d’électricité que les pays africains pourraient être à mal de produire individuellement, d’où la pertinence de projets régionaux».
DE GROS INVESTISSEMENTS ET UNE DÉCLARATION AMBITIEUSE
Les échanges entre les 2000 participants du sommet auront permis de mobiliser 43,9 milliards de dollars d’investissements pour des projets énergétiques, hydrauliques, technologiques et logistiques, accélérant ainsi la mise en œuvre du programme pour le développement des infrastructures en Afrique (PIDAPAP2), lancé en 2021 pour toute la décennie. La directrice exécutive de l’AUDANEPAD Nardos Bekele- Thomas a détaillé que 25 milliards se verraient alloués aux corridors logistiques, 15 milliards aux interconnexions et à la production énergétique, 2,7 milliards à la sécurité hydrique et 1,2 milliard au numérique. Un accord a également été signé afin d’accélérer 13 projets «à fort impact continental», a-t-elle précisé, avec pour priorités la connectivité transfrontalière, la transformation numérique et le développement urbain climato résilient. «L’ère des vaines paroles est révolue», a promis Mme Bekele Thomas, annonçant la transformation prochaine de l’initiative présidentielle africaine des champions de l’infrastructure (PICI), lancée en 2011 et quelque peu assoupie, en «une plate-forme décisive», permettant «un lien direct entre l’autorité politique et les mécanismes techniques de mise en œuvre sur le terrain, garantissant que les obstacles soient identifiés et résolus».
STIMULER L’INDUSTRIALISATION
Adoptée le 30 octobre par les chefs d’État et de gouvernement de l’UA, la déclaration de Luanda doit garantir une nouvelle impulsion au financement des infrastructures par la création d’une facilité de financement des projets d’infrastructure de l’AAMFI (Alliance des institutions financières multilatérales africaines), à laquelle participeront notamment l’AFC, l’Afreximbank et la BAD. Ce mécanisme continental doit permettre selon la CUA un «changement de paradigme», pour en finir avec «la dépendance aux prêts externes» et mettre désormais en œuvre «des solutions financières africaines». La déclaration met également l’accent sur «l’industrialisation intégrée» via la création de corridors industriels. Une approche qui permettrait aux nouvelles infrastructures de booster les chaînes de valeur régionales et de créer des emplois. La Sud-Africaine Lerato Dorothy Mataboge, responsable des infrastructures à la CUA, a insisté sur la nécessité d’une «approche inclusive»: «Nous devons inculquer deux principes. Premièrement, un contenu africain doit guider l’essor des infrastructures, via les talents africains et l’innovation africaine. Ensuite, nous devons faire avancer des projets qui stimulent l’industrialisation. Nous serons évalués par la façon dont nous avons industrialisé le continent. La voie à suivre est celle de la transformation industrielle de nos minerais en emplois pour les Africains.»