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Témoignage

Jours de pluies à Abidjan

Par Nathan d’Equainville - Publié en septembre 2022
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Abidjan sous un ciel d’orage. NABIL ZORKOT
Abidjan sous un ciel d’orage.NABIL ZORKOT

Ou comment une journée de déluge à Port-Bouët, l’une des 10 communes d’Abidjan, raconte mieux que quiconque la nature des défis écologiques que doit affronter la capitale économique. Témoignage d’un jeune français en stage en Côte d’Ivoire en juillet dernier.

Le réveil sonne, il est 7h45 à la résidence Épiphanie. Comme chaque jour depuis mon arrivée, je me rends en voiture à la plateforme de services (PFS) de Port-Bouët. Sillonnant les routes, un déluge inattendu s’abat sur nous. Le ciel gronde, Ngetia tient le volant avec poigne et conserve une allure constante. Le rythme de cette musique qui s’abat sur le toit de la voiture me donne l’impression d’être seul au milieu de cette ville où les caniveaux se remplissent à grande vitesse et débordent, bloquant d’un coup le quotidien des habitants.

Au bord de la route, des collégiens et des lycéens s’abritent dans des magasins, sous la tonnelle des maquis. Arrivé à destination, je cours jusqu’à l’entrée des bureaux en essayant d’éviter des flaques d’eau profondes mouillant les maladroits jusqu’aux chevilles. De quel problème ces inondations subites sont-elles la manifestation ?

Dans certains pays, il existe des catastrophes naturelles destructrices, les inondations en font partie. Ici, à Abidjan, ce n’est pas uniquement la force des pluies le sujet, mais plutôt les caniveaux, en très mauvais état et souvent obstrués par les déchets : bouteilles, sacs, mégots, carcasses d’animaux, etc. Ces ordures bouchent certains points névralgiques du réseau pluvial de la ville. Et l’eau de pluie ne peut plus être évacuée vers l’océan Atlantique.

Je partage un bureau avec Honoré, un jeune Congolais étudiant à l’Institut National Polytechnique de Yamoussokro, assidu, travailleur et toujours souriant. Il est en stage pour réaliser des expériences sur le compost. Assis en face de moi, ordinateur fermé, il attend les yeux dans le vide, désœuvré. Surpris de ne pas le voir affairé comme d’habitude, je lui demande : « As-tu trouvé la formule de compost idéal ? — Non, pas encore, avec la pluie, le courant a sauté, donc plus de wi-fi ! »

Une ville à l’arrêt à un coût très important, économique, sociale, humain, pour les habitants, pour les salariés aussi, et les travailleurs du secteur informel, qui ne peuvent plus travailler. La mairie de Port-Bouët en a conscience, et ses équipes s’efforcent de résoudre le problème des déchets qui polluent la ville en organisant des collectes d’ordures, sur les plages notamment. Elles en profitent pour sensibiliser la population aux enjeux écologiques. Il y a également un projet de réhabilitation des voies piétonnes et des caniveaux très abîmés de la commune. Mais pour faire évoluer la situation, outre la prise de conscience par la population de l’importance de ne pas jeter ses déchets dans les caniveaux, à quand l’installation de poubelles dans les rues ?

En l’espace d’un instant, le soleil refait surface. Je reçois un appel de Simon, mon cousin, qui effectue un service civique à la PFS. Bloqué par la panne de courant, il me propose de l’accompagner faire l’état des lieux. Direction le rond-point Akwaba, un carrefour stratégique qui mène d’une part à l’aéroport et de l’autre aux fameux boulevard VGE. Submergé par l’eau, ce n’est plus qu’une grande mare au milieu des routes qui mènent aux quatre coins d’Abidjan. Pourtant, le trafic continue, les motards lèvent les jambes, les cyclistes retroussent leur pantalon, tandis que les voitures les éclaboussent.

À la fin de la journée, nous sommes sur le boulevard de Marseille, à la recherche d’un taxi pour rentrer, mais l’importance assez dantesque des embouteillages dissuade les chauffeurs de nous ramener à Port-Bouët. Nous décidons de patienter dans un restaurant marocain, Le Gourmet, le temps que le trafic se régule. Deux heures plus tard, il est 20h45, la nuit est tombée sur Abidjan, et les voitures bloquées sont toujours là, totalement coincées à cause du rond-point Akwaba submergé par la pluie, bloquant la circulation de toute la ville. C’est un jour sans fin.

Tandis que nous continuons d’essayer de rentrer malgré tout, j’aperçois un vieil homme à pied au milieu des voitures, à contre-courant, les mains dans le dos, le regard fixe, fataliste. L’un des chauffeurs de taxi l’interpelle ironiquement : « Tu as perdu ta voiture ? — Non, j’ai raté mon avion pour Paris ! » Nous mettrons finalement 2 heures, en passant par le port, pour faire un trajet de 15 minutes en temps normal.

Le réchauffement climatique et la pollution de la planète nous rappellent régulièrement que les « temps normaux » semblent bien derrière nous. À une autre échelle, à Abidjan, il est rassurant aussi de constater que certaines solutions restent à portée de main. Et de moyens. Outre la prise de conscience civique, la modernisation et réparation des caniveaux, la mise en place de poubelles publiques dans les rues, limiteraient en partie le blocage de l’activité de toute une capitale économique lors de la saison des pluies.