Joyeuses fêtes (vraiment) à tous
Voici revenu le temps des fêtes de fin d’année. Et quels que soient la culture ou le fuseau horaire sur lequel on surfe, on a du mal à échapper à l’excitation ambiante. Les commerces, les décorations, les réseaux sociaux vous attaquent déjà la pupille et le cerveau en novembre pour être bien sûrs que vous consommerez au maximum. En cadeaux innombrables, en guirlandes géantes lumineuses, en tenues de soirée scintillantes et en agapes opulentes. Certains tombent dans le panneau à fond et organisent des soirées mémorables ou s’offrent des voyages fous. D’autres boudent carrément le truc, arguant que ces périodes de fiesta les stressent ou désespérant de les passer seuls, sans famille ou sans ami, stigmatisés par le mot d’ordre des sociétés de consommation: «Sortez, amusez-vous, et surtout dépensez!» On peut aussi faire partie des modérés, ne pas en faire une affaire d’État, et se dire que si l’on a une occasion sympa de se retrouver entre amis ou les moyens de s’offrir la soirée ou la destination de nos rêves, tant mieux, et sinon ce n’est pas bien grave. Ce qui est plus rude, c’est pour ceux qui ne peuvent pas du tout fêter le passage à la nouvelle année, faute de moyens.
Noël est une période, y compris pour ceux qui sont censés le fêter, où l’impossibilité de faire comme les autres, qui prévoient, achètent et ne parlent en gros que de ça, est particulièrement pénible, et renforce un amer sentiment de marginalisation. Certes, en Afrique, de nombreuses distributions de cadeaux sont organisées pour les enfants autour du 25 décembre par les orphelinats, les comités d’entreprise, les fondations, les mairies et les institutions en tout genre. Mais ce n’est pas normal qu’une grande partie d’entre eux n’aient rien parce que leurs parents ne sont pas capables de leur offrir quoi que ce soit.
Et il n’y a pas qu’en Afrique que l’on se retrouve chaque fin d’année dans cette situation. De nombreux pays «en voie de développement» dans le monde vivent le même cruel moment. Et de plus en plus de pays «développés», dont des pans entiers de la population sont abandonnés sur le côté de la route, offrent aujourd’hui un spectacle similaire. Certes, la pauvreté sévit toute l’année. Mais elle est peut-être encore plus saillante au moment de ces satanées fêtes de fin d’année. Je me rappelle qu’il y a une quinzaine d’années, j’étais allée voir une famille qui vivait dans un bidonville sordide, en banlieue d’une capitale en Afrique de l’Ouest, accompagnée par le patron d’une association qui lui venait en aide au quotidien. C’était à la même période. Et une petite fille m’avait accueillie tout sourire en me tendant une petite cuillère de sucre: «Aujourd’hui, c’est la fête. Tiens, prends-en un peu!» En ces moments, je repense parfois à elle, et me dis que si je devais faire un vœu, ce serait qu’elle s’en soit sortie, qu’elle se trouve loin de cette précarité et de sa bien triste enfance, qu’elle ait trouvé un travail et fondé une famille – pourquoi pas? Et puisque c’est justement une période où l’on peut se permettre de faire des souhaits, même complètement fous et irréalisables, imaginons que le passage en 2026 ait le pouvoir insensé d’éradiquer non pas la pauvreté, mais au moins l’extrême pauvreté en Afrique.
Les États pourraient alors en faire leur absolue priorité dès le 1 er janvier. En mettant les bouchées doubles sur les politiques sociales et les soutiens solides en tout genre: l’accès à la formation, à l’emploi, à la santé, au logement… Et certes, c’est un vœu pieux, comme on dit. Mais si, au moins, on en prenait un peu la direction, en réduisant le nombre de gens qui ne s’en sortent pas et viennent au monde sans beaucoup d’espoir que la donne change… Pour qu’un jour, plus jamais, une petite fille n’ait qu’une cuillerée de sucre pour fêter la fin de l’année. Une excellente nouvelle année à tous.