Judith Didi-Kouko Coulibaly
« Thérapies spécifiques et politique sociale »
Directrice du Centre national d’oncologie médicale et de radiothérapie Alassane Ouattara (CNRAO)
Première professeure agrégée et titulaire en cancérologie de Côte d’Ivoire et d’Afrique de l’Ouest, elle dirige aujourd’hui le CNRAO, un établissement de pointe dont elle détaille le mode de fonctionnement.
AM : Vous êtes à la tête du CNRAO depuis sa création en décembre 2017. C’est le premier hôpital public destiné aux malades du cancer. Comment fonctionne-t-il ?
Judith Didi-Kouko Coulibaly : Le CNRAO est d’abord une réaffirmation de la volonté politique de l’État de faire de la Côte d’Ivoire un pays où le cancer n’est plus un drame mais une maladie chronique. Cet hôpital public, inauguré le 18 décembre 2017 par le président Alassane Ouattara, et ouvert aux populations depuis le 25 janvier 2018, est spécialisé dans la prise en charge du cancer. Nous offrons une nouvelle vision incluant à la fois des thérapies spécifiques et sécurisées, une humanisation des soins et une politique sociale. En effet, outre les traitements spécifiques de la maladie, le CNRAO propose des soins d’accompagnement (accueil par des hôtesses, consultations de psychologie et de médecine esthétique, groupes de parole, gymnastique, ateliers beauté…). L’objectif est d’améliorer la qualité de vie des patients et de leurs proches. Par ailleurs, afin d’adapter les soins aux exigences universelles, les traitements sont sécurisés sur le plan médical par des staffs, des réunions de concertation pluridisciplinaires et des formations initiales et continues. En matière de formation initiale, on pourrait par exemple citer la première du genre en socio-esthétique en cancérologie d’Afrique subsaharienne, que le CNRAO a organisée en 2019 avec le soutien de la Fondation L’Oréal, permettant ainsi à notre sous-région d’avoir à disposition 11 praticiennes. Dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, le CNRAO a mis en oeuvre des dispositions visant à respecter les mesures barrières et a développé depuis septembre 2020, en partenariat avec l’Université virtuelle de Côte d’Ivoire (UVCI), des téléconsultations. Nous avons également organisé des séances de vaccination à l’attention de nos patients, de leurs proches et du personnel. Le CNRAO a en outre une vocation sous-régionale. Il accueille des patients venus d’autres pays, soit individuellement, soit dans le cadre de partenariats. Nous pouvons citer l’exemple de la convention signée en 2019 entre le ministère de la Santé et son homologue du Bénin, pour le traitement par radiothérapie de Béninois touchés par le cancer. Le CNRAO dispose d’une cellule internationale dont les missions sont, pour les patients et les familles qui le souhaitent, d’organiser et de coordonner leur venue en Côte d’Ivoire. Nous avons obtenu le prix d’Excellence 2019 du meilleur établissement sanitaire du pays. Et le 24 février 2022, le CNRAO a eu l’honneur de recevoir le 1er Prix de la qualité de l’accueil (dans le secteur de la santé publique) du Baromètre national de la qualité de l’accueil.
Vous disposez d’un plateau technique moderne et avez noué des partenariats avec des laboratoires européens. Le dernier a été signé en février avec le suisse Novartis. Qu’est-ce que cela va apporter concrètement au CNRAO ?
Notre établissement, entièrement climatisé, dispose en effet d’un plateau technique avancé composé de deux accélérateurs linéaires de particules pour la radiothérapie externe, dont un a bénéficié en 2021 de la technologie RapidArc ; d’un plateau technique de radiothérapie interne, appelée curiethérapie ; de dix lits d’hospitalisation de jour en oncologie médicale, dont deux chambres individuelles ; et d’un laboratoire d’analyses biologiques. Nous possédons aussi des salles de consultations et d’attente confortables ainsi qu’une cabine d’esthétique entièrement équipée, dénommée « la Maison rose de la beauté », acquise avec le soutien de la Fondation L’Oréal. Nous avons en effet signé plusieurs conventions d’appui avec des structures nationales et internationales : elles concernent l’appui à la formation, à l’équipement, à la réduction du coût des anticancéreux, aux personnes démunies atteintes de cancer, etc. On peut citer l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), le Rotary Club Abidjan Atlantis, le groupe SIFCA et sa fondation, le CHU d’Angré, l’UVCI, l’association Knitted Knockers Côte d’Ivoire ou encore Novartis. Cette dernière convention, signée le 4 février, viendra (en plus de celle existant déjà, que l’État a signée avec le laboratoire Roche) renforcer les actions sociales. Elle facilitera encore plus l’accessibilité financière des soins, vu que les médicaments de Novartis seront cédés à des coûts relativement bas. Elle renforcera également l’accès à la prévention et au diagnostic des cancers. Pour rappel, dans le cadre du partenariat avec le laboratoire Roche, l’État a permis, depuis 2015, une accessibilité financière accrue à de nouveaux traitements du cancer. Le bilan des cinq premières années de cette convention nationale fait état de 755 personnes traitées gratuitement, à hauteur de 2,5 milliards de francs CFA. Ce partenariat a été renouvelé en décembre 2019 pour cinq ans, portant sur 12 médicaments d’acquisition gratuite, contre trois initialement.
Combien de patients avez-vous traité à ce jour et avec quel taux de réussite ?
Entre son ouverture au public et le 31 décembre 2021, le CNRAO a enregistré 6 359 nouveaux patients, 23 165 consultations, 11 824 traitements par chimiothérapie et thérapies ciblées, 1 627 traitements par radiothérapie (soit 1 627 évacuations sanitaires évitées). Nous avons aussi procédé à 62 288 examens de biologie. Et plus de 3 000 personnes ont pris part aux activités de soins d’accompagnement. Comment fonctionne la subvention aux soins dédiés aux plus pauvres ? Le ministère de la Santé a initié des actions sociales donnant la possibilité aux patients de se soigner d’abord et de payer la facture à leur rythme. Lorsqu’ils n’ont pas les moyens, ils peuvent aussi ne rien payer d’emblée, et payer en différé, dans l’attente de trouver soit les moyens, soit une prise en charge. Pour ceux encore plus dans le besoin, le CNRAO sollicite des donateurs qui, gracieusement, apportent leur appui financier, soit ponctuellement, soit au travers de conventions. Par ailleurs, plusieurs patients ont bénéficié du soutien financier de la présidence de la République de Côte d’Ivoire et du ministère en charge de la Santé. Entre le début de nos activités et fin décembre 2021, sur 6 359 patients reçus, 2 200 (34,5 %) ont bénéficié du soutien de l’État, à hauteur de 2,6 milliards de francs CFA.
Quels sont vos projets à court ou moyen terme ?
Le renforcement des formations continues du personnel, pour rester à la pointe de la décision thérapeutique, et la poursuite des investissements en matière d’équipements, afin de se maintenir au top de la technologie. Nous allons aussi maintenir nos efforts pour faciliter toujours davantage l’accessibilité financière aux soins. Et enfin, nous attendons l’extension imminente du CNRAO. Et nous en remercions nos autorités, et notamment le ministère de la Santé, de l’Hygiène publique et de la Couverture maladie universelle.