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Ce que j’ai appris

KARIM MISKÉ

Par Loraine Adam - Publié en décembre 2015
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ÉCRIVAIN ET DOCUMENTARISTE FRANÇAIS, 51 ANS.
Optimiste désenchanté, il explore les différences multiculturelles. Son documentaire Juifs et musulmans, si loin, si proches, diffusé en juin dernier sur Arte, a été particulièrement remarqué, tout comme Arab Jazz, premier roman d’une trilogie à venir, Grand Prix de littérature policière 2012 et lauréat de l’English PEN Award. Son dernier essai, N’appartenir, sur la question identitaire, retrace son parcours atypique.

- Longtemps, j’ai cru que la France n’était pas vraiment mon pays. En réalité, je ne suis pas plus Africain qu’Arabe, mais un Français de type méditerranéen avec une sensibilité, une culture et des références en léger décalage avec celles de la majorité de ses compatriotes. Cette subtile différence, il me reste encore à trouver les moyens de l’assumer sereinement. Je suis né à Abidjan, d’un père homme politique-journaliste mauritanien, athée, et membre fondateur du Front Polisario, et d’une mère française, assistante sociale et professeure mais aussi athée, communiste et féministe. Nous avons vécu aux États-Unis, où mon père était ambassadeur, puis mes parents se sont séparés et je suis rentré en France, auprès de ma grand-mère institutrice. Aux yeux de la société des années 1960, j’étais un bâtard, une bizarrerie.
- C’est la vie qui m’a porté vers la lecture. Ma grand-mère me parlait souvent des grands auteurs. Comme j’étais fils unique, les livres étaient mes meilleurs amis et m’ont beaucoup appris. Avec Hugo, Balzac puis Orwell, Philip K. Dick, Huxley, Manchette et bien sûr Hannah Arendt, j’allais à la découverte d’autres mondes et de moi-même. C’est une expérience personnelle pour chacun de nous et c’est cela qui m’intéresse au-delà de ce que je peux raconter sur notre société. J’aime l’idée d’offrir à mes lecteurs la possibilité de faire de même. Explorer l’intime et les sensations, rendre chacun à soi-même et passer entre les mondes… Dès l’adolescence, j’ai su que j’écrirais.
- Enfant, je rêvais d’être psychopoliticien, pour entrer dans la tête des hommes politiques et comprendre mon père absent. À l’adolescence, élevé dans un milieu tiers-mondiste résolument laïc, j’ai partagé les causes défendues par mes parents et découvert l’ivresse discursive et l’art de la rhétorique. Le discours, souvent formaté, des adultes qui m’entouraient était très politique et la lecture était le seul moyen de m’évader. Puis, ma mère s’est installée à Dakar, où j’ai suivi des études de journalisme sans grande conviction.
- J’ai eu du mal à me lancer, mais plus tard, en assumant ma subjectivité dans l’écriture, mon identité, ma seule patrie désirable était celle des mots et de la littérature. J’ai commencé par le documentaire car je ressentais cette nécessité d’établir des faits. Mais j’avais envie de créer mon propre univers et quand j’écris, c’est entre moi et moi.
- Réaliser mon documentaire Juifs et musulmans, si loin, si proches m’a permis d’apporter une autre vision de cette relation perçue aujourd’hui entièrement sous l’angle du conflit, sans pour autant verser dans l’angélisme. Il m’apparaissait notammeprimordial de rappeler que la violence de l’antagonisme entre juifs et musulmans est récente au regard de l’histoire, et que l’impérialisme européen a joué un rôle centradans cette évolution dramatique. La gratification est venue plus tard, quand de très nombreux spectateurs des deux communautés, et bien au-delà, m’ont remercié d’avoirrappelé les liens millénaires qui les unissent. Sans me bercer d’illusions sur le pouvoir des films, on n’a pas si souvent l’occasion, dans une carrière de réalisateur, d’agir sur la vision du monde de ses contemporains !
- Pour aider à mieux comprendre l’Afrique d’aujourd’hui, où elle va et dans quelles conditions elle s’est faite, je travaille sur un documentaire sur l’histoire de mon père, Ahmed Baba Miské, témoin de la période coloniale et acteur de la décolonisation de son pays.