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L'aune et le prisme

Par damien.glez - Publié en octobre 2011
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QUI A REÇU DES MALLETTES REMPLIES D’EUROS ? Qui a réceptionné des djembés bourrés de dollars ? Le quiz de l’automne semble avoir le succès de celui du printemps (« que s’est-il passé dans la suite du Sofitel new-yorkais ? ») et la popularité du quiz de l’été (« où se trouve Mouammar Kaddafi ? »). Quand les financements africains pleuvent, la frontière entre les pôles idéologiques hexagonaux semble bien perméable. À la suite des révélations publiques de l’avocat Robert Bourgi – dans Le Journal du dimanche – et du journaliste Pierre Péan – dans son livre La République des mallettes –, chacun y va de son commentaire outré ou outrancier. Censément, ces vrais-faux scoops devraient tétaniser, un temps, les dérives mafieuses de relations françafricaines contre nature. Si les élites africaines hésitent désormais à accorder des rétributions occultes aux candidats des campagnes électorales hexagonales, l’Afrique du quotidien, elle, continue manifestement d’accorder à la France une bienveillance toute particulière. Même si l’on cessait de parler d’Afrique-France, de France-Afrique ou de Françafrique, l’Africain moyen appliquerait toujours la règle du « ton pied, mon pied » [amour fusionnel, NDLR] vis-à-vis de Paris. Chaque situation africaine n’est-elle pas analysée à l’aune d’une situation équivalente chez les « ancêtres » gaulois ? Un chanteur, dans un pays tropical, gratte-t-il une guitare sèche en psalmodiant des textes sophistiqués ? On le baptisera « Francis Cabrel d’Afrique centrale ». Un footballeur d’Afrique de l’Ouest développe-t-il de miraculeux talents de meneur de jeu ? On le qualifiera de « Zidane du Sahel ». Le positionnement d’un homme politique maghrébin semble-t-il manquer de clarté, celui-ci n’attendant pas les alternances pour naviguer entre majorité et opposition ? On le surnommera « Bayrou d’Afrique blanche ». Un journal satirique paraît-il depuis plusieurs années ? On l’affublera du sobriquet « Canard enchaîné africain ». Hypnotisés par une France pourtant irritante à bien des égards, certains donnent même le fouet pour se faire battre. En 2007, les affiches du chanteur Koffi Olomidé, dit « le Grand Mopao », exigeaient qu’on le proclame « Mopao Sarkozy ». Même s’il ne tient pas en place, le président français n’est pourtant pas réputé avoir le rythme dans la peau… L’omniprésence des références françaises dans les esprits africains traduit-elle un amour sincère et durable ? S’agit-il plutôt des soubresauts surannés d’un complexe d’infériorité envers un ancien colon ? À force d’être comme cul et chemise avec le Français, l’Africain ne comprend-il pas que c’est toujours le même qui joue le rôle de la chemise ? Peut-être la valse du « je t’aime, moi non plus » prendra-t-elle fin avec le renouvellement des générations. Peut-être faudra-t-il attendre que s’estompe la nostalgie incongrue d’une minorité née avant les indépendances ; patienter que le continent ait la fierté de charrier ses propres références. C’est alors l’excès inverse qui pourrait être distillé, tant dans les logorrhées des maquis que dans les éditoriaux des journalistes. Déjà, lorsque le commentaire africain cesse d’imposer une comparaison francophile à toute analyse de faits locaux, il tend à systématiser l’africanisation de l’actualité du Nord. Pour qualifier la confession publique de Dominique Strauss-Kahn au journal télévisé de TF1, un quotidien sahélien titrait « Un acte inimaginable en Afrique ». Plus caricaturaux encore sont les forums Internet ou les éditoriaux radiophoniques qui abusent de transpositions Nord-Sud. La tropicalisation a-t-elle toujours un sens ? L’appropriation, à l’excès, d’une actualité étrangère ne la dénature-t-elle pas ? En contrepoint de la sempiternelle aune occidentale, voici donc le systématique prisme afrocentriste, grille de lecture tout aussi téléphonée que stérile, voire populiste. Comme la frontière entre les idéologies françaises, bien perméable, est celle qui sépare les complexes d’infériorité de ceux de supériorité. Mais là encore, c’est une comparaison…

Par Damien GLEZ Dessinateur de presse, directeur de publication délégué du Journal du jeudi (Burkina Faso)