La bataille de Doraleh
C’est un bras de fer homérique entre Djibouti et le géant émirati DP World, quatrième opérateur portuaire mondial (plus de 70 ports dans 48 pays). Une affaire politico-économico-juridique commencée en février 2018 avec la résiliation par l’État djiboutien de la concession sur le port à conteneurs de Doraleh (DCT, devenu depuis SGTD). Le groupe dubaïote conteste depuis cette décision en multipliant les procédures devant la London Court of International Arbitration (LCIA) à Londres, mais aussi aux États-Unis et à Hong Kong. Dernier épisode particulièrement important, le 29 septembre dernier, la LCIA a rejeté la demande de DP World, qui réclamait près d’un milliard de dollars à Port de Djibouti SA (PDSA). Le juge a estimé que la décision de résiliation relevait exclusivement de la souveraineté de l’État, exonérant l’entreprise PDSA de toute responsabilité. Une victoire majeure pour Djibouti, qui protège ainsi ses actifs portuaires. Sans pour autant clore le dossier. DP World tente toujours de faire exécuter d’autres décisions favorables rendues par la LCIA, notamment aux États-Unis et à Hong Kong. Depuis 2006, DP World bénéficiait d’une concession quasi exclusive de cinquante ans sur le littoral djiboutien. L’entreprise s’est vu peu à peu reprocher son manque d’investissements dans les infrastructures, notamment après la crise immobilière qui a secoué Dubaï en 2008. D’avoir limité le trafic en préférant ses propres ports dubaïotes à celui de Djibouti, en particulier pour les opérations de transbordement. Tout en contrôlant intégralement l’entreprise DCT, via le pacte d’actionnaires. Se retrouvant ainsi sous cloche, Djibouti a d’abord cherché à négocier un nouvel accord avant que l’affaire ne finisse devant les juridictions. Les enjeux de cette bataille sont considérables: pour Djibouti, il s’agit de préserver sa souveraineté portuaire, de garantir sa capacité d’investissement, de diversifier ses partenariats. L’entrée du groupe China Merchants, à hauteur de 23,5%, dans le capital de PDSA dès 2013 ou la récente concession du port de Tadjourah au groupe saoudien Red Sea Gateway Terminal illustrent cette stratégie. L’idéal serait de parvenir à un accord équilibré, permettant éventuellement un retour de DP World sur une plate-forme portuaire incontournable du commerce mondial. En tenant compte des paramètres djiboutiens. Et tout en s’adaptant à un nouveau monde plus concurrentiel, où la souveraineté des États n’est plus négociable.