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Farid Boudjellal

« La BD était une sorte de banlieue artistique »

Par - Publié en avril 2016
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Par Loraine Adam

Son premier lecteur n’est autre que son frère cadet, Mourad Boudjellal, qui fut son principal éditeur en tant que fondateur et PDG des éditions Soleil Productions jusqu’en 2011, et qui préside désormais le
Rugby Club toulonnais. Aujourd’hui, avec La Présidente, Farid Boudjellal signe son plus grand succès, un véritable phénomène en librairie depuis sa sortie en novembre 2015. En compagnie de François Durpaire au scénario, par ailleurs maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université de Cergy-Pontoise, ils imaginent sur le principe de l’uchronie, l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen
et l’ère des cent premiers jours de sa présidence. « Je n’en suis pas à mon premier travail contre le FN et je ne brûle pas d’impatience de rencontrer Marine, que je peux appeler par son prénom car nous avons passé toute une année ensemble, s’amuse le dessinateur. Mais je lui dois mon plus grand succès. Je trouve étrange qu’une femme politique issue d’un parti qui voudrait virer les immigrés
m’enrichisse. » Un simulateur de politique dont le réalisme est renforcé par la collaboration de nombreux spécialistes et par un dessin proche de la photo. Farid Boudjellal n’imaginait pas que ce livre rencontrerait un tel succès. Pourtant, sa maison d’édition, Les Arènes, et Laurent Muller, son éditeur, étaient confiants et les retours des libraires très positifs. Le tirage initial de 20 000 exemplaires est
passé à 30 000 puis 50 000, avant de dépasser le cap des 100 000, et il continue d’être réimprimé.
 
Aujourd’hui, dans le registre de Farid Boudjellal, on trouve Marjane Satrapi, Joann Sfar ou Riad Sattouf. Mais à ses débuts, « la bande dessinée était une sorte de banlieue artistique
où on apprenait seul », se souvient-il. Issu de l’immigration algérienne et de l’exode arménien, ce Parisien d’adoption né à Toulon en 1953 n’a jamais perdu l’accent de son enfance méridionale. 
Atteint de poliomyélite et d’asthme dès son plus jeune âge, malgré une scolarité chaotique il finira par décrocher son bac, qu’il avait potassé en clinique et maison de repos. Suivirent alors deux
années à l’université en lettres et en sociologie : « Je n’étais pas très assidu. En revanche, je dessinais beaucoup, j’avais déjà mes histoires à raconter. » En 1978, il publie des histoires courtes
dans Charlie Mensuel. Georges Wolinski lui conseille alors : « Dans l’univers le plus noir, il faut toujours garder quelque chose de positif. » Depuis, face à la page blanche, Farid essaie de mettre ce qu’il a de meilleur en lui. « Je veille toujours à ce que mes BD demeurent accessibles à tous. C’est un art narratif longtemps cantonné à la littérature jeunesse, mais où il est possible de traiter tous les thèmes. » Son prochain album, destiné aux enfants, traitera d’écologie et sera distribué dans les écoles à la rentrée prochaine. « Travailler pour l’enfance après La Présidente, c’est reposant. »
 
« Racisme et antiracisme sont des boulets. Je me souviens très bien de la guerre d’Algérie, de Mai 1968 et de la première marche pour l’égalité. Je m’appelle Farid Boudjellal et mon prénom ne figure
pas dans le calendrier de la Poste mais je suis français par filiation, mon père s’est fait naturaliser. Mon grand-père a fait trois guerres pour la France et a même été décoré, mais on lui a refusé sa pension. Dans ma famille, nous avons toujours été très informés de nos devoirs, mais aussi de nos droits, martèle-t-il. Je ne suis pas dans la négation revendiquée par certains jeunes qui se posent des questions identitaires. Je ne suis pas un étranger, je suis chez moi ici, tout comme en Algérie. Deux choses sont importantes, la revendication et le refus de se laisser enfermer dans un statut d’étranger. »
 
Handicapé par sa poliomyélite, Farid ne marche pas comme tout le monde. « Je dessine avec mon corps, il m’est difficile de faire marcher un personnage droit, j’ai tendance à le faire naturellement déhanché. » D’ailleurs, Petit Polio, son héros pour la jeunesse, « un anti-Titeuf », lui ressemble. « Mon handicap a souvent été une source d’humour. Le fait d’en rire n’empêche en rien l’émotion. On
dit que c’est la politesse du désespoir. Certains sont choqués par cet humour, mais pourquoi refuser l’humour s’il est de qualité ? En revanche, qu’attend-on pour faire obligation de placer, dans les
magasins ou bureau de poste, des panneaux de priorité ou d’accessibilité dédiés aux personnes en situation de handicap ? Elles n’ont pas forcément envie de toujours demander une faveur ou de sortir 
leur carte. Personnellement, la station debout m’épuise. Mais les politiques se désintéressent de ces problèmes. »
 
Le parcours de Farid Boudjellal a été jalonné de belles rencontres : « J’ai essayé de rendre ce que j’ai reçu. Pour moi, la réussite n’est pas liée au pognon même si je ne crache pas dessus. Au
fond, je serai toujours ce petit Algérien handicapé né à Toulon, passionné de BD. J’ai transmis cette flamme à mon frère. Si nous n’étions pas nés, le paysage de la bande dessinée en France serait probablement très différent. »