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C’est comment?

La complainte du diaspo

Par Emmanuelle Pontié
Publié le 8 août 2025 à 08h28
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Et voici revenu le temps du racket pour les diaspos qui rentrent à la maison lors des vacances. Ils vont voir une maman âgée, accompagnent un enfant pour un séjour détente chez la belle-soeur, ou tout simplement ont une envie dévorante, et bien légitime pour des déracinés à l’année, de venir un peu humer l’air du pays, celui du tô ou du ndolè, autour d’une bonne bière au maquis, entourés d’une brochette de potes d’hier.

Mais à quel prix? La famille attend obligatoirement son diaspo de pied ferme, avec une litanie de doléances et de besoins pécuniaires sonnants et trébuchants. Pas question pour elle, qui est restée «à souffrir au bled», de ne pas rançonner un peu (et souvent beaucoup) celui qui a eu la chance de partir loin, dans les pays riches où il fait bon vivre. Cette même famille, les yeux pleins d’étoiles lorsqu’elle reçoit des cartes postales de la tour Eiffel ou de la statue de la Liberté, ne peut pas s’imaginer qu’il y a aussi là-bas des banlieues éloignées, souvent sordides, où l’on souffre autant voire plus qu’au village, assailli par des frais élevés propres aux «pays riches» pour un salaire souvent modeste.

Peu leur importe. Ils sont sans pitié. Jaloux aussi, sûrement, du symbole de réussite même si elle est parfois fausse  que représente celui qui a pris le large. Résultat : devant un monde aussi impitoyable, celui qui rentre au pays est prêt à toutes les ruses. Certains ne préviennent pas qu’ils arrivent, prétextant l’effet de surprise. Juste pour éviter la liste interminable de courses qu’on leur demande d’apporter par avion, jamais remboursées et entraînant évidemment des coûts d’excédents de bagages pour leur pomme. D’autres s’installent chez un ami, dribblant ainsi les cohortes de cousins et de neveux affamés qui défilent à la maison, des tonnes d’ordonnances médicales ou de traites à payer dans les poches.

Impossible de se soustraire à la dictature familiale, sous peine d’être considéré comme un «Blanc ingrat» et de se fâcher avec tout le monde. Alors bien sûr, il y a ceux qui capitulent. Ils ont prévu la dépense à l’avance, assument et prodiguent des largesses à leur arrivée, fiers malgré tout de montrer ou de faire croire qu’ils ont réussi. Mais ceux-là se retrouvent raides comme des passe-lacets pour le reste de l’année, condamnés à manger de la bouillie d’ignames sans condiment jusqu’à ce que les économies se reconstituent. Avant d’être à nouveau spoliés l’année suivante.

Un cycle infernal… Au final, les plus malins envoient un billet à papa ou maman pour les rejoindre à l’étranger. C’est toujours moins coûteux loin de la famille pognonphage, et malgré les tracasseries de certificats d’hébergement et de visas, qui, comme chacun le sait, ne s’arrangent pas avec les années.

Au-delà du phénomène classique de racket familial envers les parents fortunés, ou qui sont simplement partis grossir les rangs des diasporas à l’étranger, il est assez injuste d’en vouloir sciemment ou non à celui qui est parti. La plupart du temps, ce n’est pas de gaîté de coeur que l’on quitte sa terre natale. Mais parce que l’on souffre et que l’on pense, souvent à tort, que l’herbe est plus verte ailleurs. Ou parce que l’on a fait de bonnes études et que le pays d’où l’on vient n’a qu’un salaire de misère à nous offrir si on est médecin ou professeur. Deux professions, par exemple, bien mieux rémunérées en général à l’extérieur du continent.

Mais lorsque vous parlez avec eux, à Paris, à Berlin ou à New York, le pays leur manque cruellement et ils rêveraient de lui apporter leurs compétences. Ce qu’ils font sans hésiter quand leur gouvernement leur tend la main, avec un vrai projet. Certains décident malgré tout de rentrer, et de monter une affaire sur place, pensant mettre leur savoir-faire au service du développement local.

Et pourtant, que cette affaire marche ou pas, quoi qu’il arrive, on traitera toujours le nouvel entrepreneur de…diaspo. Avec les sempiternels sous-entendus, du style: «Pour qui il se prend, lui?»; «Il croit qu’il sait mieux faire que nous?» Tout cela est tout de même sacrément injuste. Mais bon, on ne change pas les mentalités en un claquement de doigts. Alors, que nos amis diaspo décident de rentrer ou non, on leur souhaite tout de même de bonnes vacances!