La lente agonie des pays de l’AES
Le 16 septembre 2023, à la suite de coups d’État en cascade – au Mali en 2021, au Burkina en 2022 et au Niger en 2023 –, naissait l’Alliance des États du Sahel. Une sorte de G3, un bloc de défense mutuelle pour contrer l’éventuelle intervention de la Cedeao, harassée un temps par la floraison de ces juntes militaires peu disposées à organiser des élections. Depuis, ces trois pays, sortis du concert des nations, semblent oubliés de la communauté internationale. Dans chacun d’eux, l’espoir de l’organisation d’une présidentielle s’éloigne peu à peu. Le général malien Assimi Goïta s’est auto-octroyé un mandat présidentiel de cinq ans en juillet dernier. Le capitaine Ibrahim Traoré avait été désigné président de la transition jusqu’à la présidentielle prévue en juillet 2024 au Burkina, avant de rallonger son mandat de soixante mois en mai de la même année. Et en juillet dernier, il a décidé de dissoudre la commission électorale au motif qu’elle était une source inutile de gaspillage d’argent… Enfin, Abdourahamane Tiani entérinait le 26 mars 2025 une transition sans échéance électorale, profitant de l’occasion pour s’auto-élever au grade de général.
Dans ces trois pays, la population, surtout les jeunes, a vu un temps dans l’arrivée de ces juntes au pouvoir un espoir. Un rêve d’indépendance et de souveraineté, une rupture avec le passé et la misère qu’il avait engendrée. Ils ont écouté, les yeux souvent remplis d’étoiles, les discours enflammés aux slogans galvanisants du nouvel homme fort arrivé à la tête de leur pays.
Pourtant, aujourd’hui, le rêve s’est peu à peu brisé. Et le réveil est rude. À Tombouctou, à Bobo-Dioulasso comme à Agadez. Les trois nations de l’AES, aux économies exsangues, aux armées faibles, aux soutiens inexistants, se révèlent être totalement dans l’impossibilité de faire face aux attentes de la population. En matière d’éducation, de santé, d’emploi. Et de protection. Sur le plan de la sécurité, elle est gangrenée peu à peu par les islamistes et les groupes armés fanatiques. La menace est arrivée aux portes des capitales. À Bamako, les camions-citernes qui ravitaillent la capitale sont régulièrement incendiéspar le Groupede soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), lié à Al-Qaida, mettant les habitants souspression. Despans entiersdu territoire malien sont déjà pratiquement passés sous le joug islamiste. Le même groupe GSIM attaquait encore lavillede Djibo,au norddu Burkina, fin septembre, tuant au moins 40 civils. Au Niger, les attaques du groupe armé État islamique au Sahel (EIS) multiplient régulièrement les exécutions sommaires et les incendies de villages entiers. Et il y a peu d’espoir que cet enfer au quotidien cesse.
Les patrons des trois juntes, malgré l’absence de solution, semblent déterminés à garder jalousement le pouvoir, et ont démontré jusqu’à aujourd’hui qu’ils n’ont pas vraiment envie de passer par l’épreuve des urnes. Ils ont démontré aussi que leur manière de gouverner envoie de mauvais signaux sur le plan démocratique. Comme au Burkina, où des magistrats, des avocats et des journalistes sont enlevés par des personnes se présentant comme des membres de l’Agence nationale du renseignement. Quand on s’attaque aux magistrats ou aux médias, la tradition est de dire que les contre-pouvoirs sont menacés. Le capitaine Ibrahim Traoré est aussi accusé par des organisations américaines de piocher allègrement dans les réserves d’or du pays, afin de financer la junte et son maintien au pouvoir.
Au Mali, un lourd climat de suspicion s’est installé. Les gens craignent de parler et évitent de critiquer le système par crainte des représailles. Ailleurs, comme au Niger, des décisions politiques farfelues sont prises. Le général Abdourahamane Tiani, soucieux de pallier la situation économique désastreuse du pays, a lancé l’opération «100 FCFA pour la patrie» – l’étendant aux enfants dans les écoles… – dans le but de financer un Fonds de solidarité pour la sauvegarde de la patrie. Et personne ne sait vraiment où iront les sous récoltés. Bref, deux ans après la création de l’AES, on ne peut pas dire que le bilan soit brillant. Et s’il l’était, nos trois présidents en transit organiseraient des présidentielles démocratiques et libres sans craindre d’être rejetés par une population désenchantée et appauvrie. Dont, malheureusement, pas grand monde ne se soucie.