
La métamorphose d’Akouédo
Ce fut longtemps l’une des décharges les plus toxiques de la région. Implantée presque au cœur d’Abidjan. Fermée en 2018, elle a fait l’objet d’une ambitieuse réhabilitation. Bienvenue aujourd’hui dans un parc ouvert au public, le nouveau poumon vert de la mégalopole. Un exemple à suivre.

Aujourd’hui, la visite est impressionnante. Réellement. Au cœur de la commune de Cocody, dans l’agitation d’Abidjan, s’achève la naissance d’un parc unique, une respiration verte dans un univers hautement urbain. Un paysage hors de la cité, avec des arbres, un chemin botanique, des aires de sports et de jeux. Bientôt, dans quelques semaines, les habitants de la ville pourront y accéder. Une vraie révolution, lorsque l’on se replonge dans le passé. Akouédo, ce fut tout d’abord et longtemps une décharge de sinistre réputation, ouverte dans les années 1960. Elle fut pendant des décennies le quasi seul site de stockage de déchets de la ville d’Abidjan, et l’un des principaux d’Afrique. Une zone particulièrement toxique, échappant à tout triage, progressivement absorbée par l’extension urbaine, avec des populations qui s’installent à proximité, un écosystème de la misère, un véritable risque écologique et sanitaire collectif.

Elle a été marquée aussi, en 2006, par la tragédie du Probo Koala, ce bateau poubelle dont les déchets hautement toxiques avaient été déversés sur le site, entraînant une catastrophe majeure. Un espace de 112 hectares, dont plus de 80 occupés par l’amoncellement de déchets de toute sorte. Face à ces enjeux, les autorités ivoiriennes décident de fermer la décharge en 2018, lançant un projet particulièrement ambitieux de réhabilitation . Avec la gestion des déchets, la création d’un parc et d’aires ouvertes au public.
Un projet , fou par son ampleur et parle défi technologique que représente sa réalisation , porté par l’État et confié à PFO Africa, l’entreprise dirigée par l’architecte Pierre Fakhoury et son fils Clyde. L’entrepreneur ivoirien se lance à corps perdu dans le projet , s’associe à Veolia (expert en traitement des déchets), Gregori International et le paysagiste jardinier Philippe Niez (Niez Studio). L’aventure hors-norme commence. Le terrain est sécurisé, des millions de tonnes de déchets sont confinés via le remodelage des massifs. Des fosses périphériques sont créées pour l’écoulement des eaux pluviales.

L’ensemble est recouvert d’une géomembrane étanche et sécurisée pour éviter tout e fuit e ou remontée toxique. Le biogaz et le s lixiviat s issu s de la fermentation progressive des déchets sont captés par des puits de récupération, ainsi qu’un réseau tentaculaire , en surface, de collecte et d’acheminement. Les biogaz sont transportés vers une usine de cogénération. Cette centrale installée sur site permet d’assurer les besoins en électricité du parc, le surplus étant réinjecté dans le réseau national. Les lixiviats, quant à eux, sont traités et dépollués. Et les eaux épurées sont renvoyées vers la lagune Ébrié.
UNE MUTATION ÉCOLOGIQUE RADICALE

L’ensemble a été conçu en trois zones. La zone A, désormais stabilisée , es t destinée à être ouvert e au public . Les dôme s B e t C seront progressivement accessibles, au fur et à mesure de leur stabilisation. Le dôme A comprend les espace s de loisirs ainsi qu’une maison de l’environnement. Et , cœur du projet , le développement d’un grand parc botanique dessiné par le paysagiste Philippe Niez. Une vaste pépinière a été mise en place, qui s’est aussi appuyé e su r l’expérience et le savoir-faire de s population s qui ont vécu à proximité du site . Les visiteurs pourront accéder à une promenade dans ces mondes végétaux ivoiriens via une passerelle sécurisée de 60 0 mètres , surélevée d’un mètre pour préserver ce milieu naturel renaissant. Ils traverseront la forêt des arbres géants, ils découvriront l’espace de savane et ses hautes herbes. Avant d’arrive r dans le bois de Makoré (et ses espèces rares). Akouédo a reçu le Gran d Prix économie circulaire 2021 du Geste d’or, une association indépendante des métiers du bâtiment. Et aujourd’hui, malgré l’impact de l’épidémie de Covid sur les travaux, le parc est quasi prêt à être ouvert. Une gageure!

L’enjeu d’Akouédo, sa mutation radicale, dépasse le site lui-même. La question des déchets et de l’assainissement, celle de la protection des espaces forestiers et naturels sont stratégiques. Toujours à Abidjan, le fameux parc national du Banco, véritable poumon vert de la ville avec ses 35 km2, est menacé par l’urbanisation, la coupe illégale, la pollution…

Les décharges urbaines sont légion sur le continent, et demeurent un important point noir de la sécurité écologique des grandes métropoles africaines. Elles ont par ailleurs un coût exorbitant en matière de bilan carbone. Sur la période allant de 2000 à 2021, les émissions de gaz à effet de serre liées aux déchets en Afrique ont augmenté presque deux fois plus rapidement que l’ensemble des émissions, comptant désormais pour environ 8% du total. La question de l’assainissement reste tout aussi cruciale (seuls 300 millions d’Africains ont accès à des structures adéquates, selon l’OMS). L’expérience d’Akouédo et celle de la Côte d’Ivoire pourraient dès lors être particulièrement utiles à d’autres.