La promesse jeune
C’est l’une des révolutions les plus stupéfiantes de l’humanité. En 1900, l’Afrique comptait 130 à 140 millions d’habitants, un immense espace naturel (30 millions de km2 , presque 20% des terres émergées), sous-peuplé, drainé par le choc de l’esclavage et de la colonisation. À l’heure des indépendances, ce chiffre va à peine doubler, passant à 300 millions d’habitants. Et depuis, c’est l’explosion démographique. En un peu plus de soixante ans, une vie d’homme, nous avons quintuplé notre population. Aujourd’hui, nous sommes près de 1,5 milliard.
En parallèle, l’Afrique s’est urbanisée à très grande vitesse. En 1950, 15% des Africains vivent en ville, 25% en 1980, presque 45% aujourd’hui, soit 600 millions de citadins. Et d’ici à 2050, on devrait compter près de 1,5 milliard d’urbains. Lagos, Kinshasa, Dar es Salaam, Nairobi, Addis-Abeba, Le Caire ou Johannesburg-Pretoria sont en train de devenir de véritables mégapoles, avoisinant ou dépassant le seuil des 10 millions d’habitants. Des conurbations voient le jour, comme celle qui reliera un jour Abidjan à Lagos. Une vraie révolution sociétale.
Cette dynamique n’a pas encore atteint son pic. D’ici à 2050, le continent verra sa population passer d’environ 1,5 milliard à près de 2,5 milliards d’habitants, sauf inversion de la tendance. Soit un quart de la population mondiale. Elles et ils sont aujourd’hui plus de 60% à avoir moins de 25 ans. Et demain, ils seront 1,2 milliard… Malgré l’ampleur de la poussée, l’Afrique ne s’effondre pas. Oui, la croissance ne va pas assez vite pour absorber la démographie. Oui, certains pays, en particulier au Sahel et en Afrique centrale, sont menacés par la vague, mais globalement, le continent progresse. En 1960, notre richesse globale dépassait à peine, en dollars courants, 70 milliards. Le PIB atteint aujourd’hui près de 3000 milliards de dollars. Nous avons multiplié notre économie par 50 depuis les indépendances. Et nous devrions atteindre environ 6000 milliards de dollars aux alentours de 2035-2040.
Mais les inégalités sont patentes et les sociétés, les règles sociales, les systèmes éducatif et de santé sont bouleversés par ce choc tellurique. La «question jeune» devient essentielle. Les digital natives – ou génération Z, celle qui est née après 1995, avec Internet – mènent le mouvement. Elles et ils se sont émancipés du récit postcolonial. Elles et ils sont connectés, conscients de ce qu’il se passe ailleurs. Ils sont dans le réel. Ils demandent plus d’éducation, plus de santé, plus d’emplois. Et plus d’équité, de justice dans la répartition des richesses. Ils veulent déboulonner le «grand frérisme» et les codes sociaux qui profitent souvent outrageusement aux «élites installées».
Évidemment, ce « paysage jeune » n’est pas homogène. Elles et ils sont nombreux à être piégés dans la pauvreté (urbaine ou rurale), nombreux à ne pas avoir de formation, nombreux aussi à être tentés par le radicalisme religieux, le nihilisme, la violence ou l’exil… Et cette «génération perdue» est tout aussi impactante que la génération Z. On pourrait alors verser dans le catastrophisme, celui du «grand nombre».
Mais on peut aussi changer de prisme, de discours. L’Afrique est durablement «jeune», au moins jusqu’à la fin du siècle. Et cette jeunesse est source aussi de force, de dynamisme, d’opportunités. En s’appuyant sur le nombre, justement, sur l’industrialisation progressive, sur l’urbanisation (et les services qui vont avec). Sur l’agriculture et l’agribusiness, sur les télécommunications et le digital, les énergies et le développement durable, en basculant progressivement vers un capitalisme africain, moins cloisonné, et surtout créateur d’emplois… Et ce qui compte, en parallèle, ce sont des États investis dans l’équité sociale, la redistribution, la gouvernance (raisonnable), et l’urgence en matière d’éducation (en s’adaptant aux réalités locales et aux besoins) et de santé (en privilégiant les plus fragiles).
Les recettes du fameux «dividende démographique » (qu’ont connu d’autres pays comme la Chine) sont là. Le chemin sera long, mais cette génération et les suivantes (celles de l’intelligence artificielle) portent en elles une formidable promesse, celle de la transformation du continent. Cette jeunesse, nombreuse, motivée, pourrait être le chaînon manquant d’un véritable saut qualitatif et quantitatif pour le développement de l'Afrique.