La voix qui nous revient!
Cette pièce symbolique, confisquée en 1916 à Adjamé par les autorités coloniales françaises, va effectuer son grand retour en Côte d’Ivoire.

C'est l'un des objets les plus emblématiques du musée du Quai Branly-Jacques Chirac. Le monumental tambour parleur de la communauté atchan, en Côte d’Ivoire, s’apprête à quitter Paris pour rejoindre Abidjan. Entré dans les collections françaises en 1930 après avoir été «saisi» en 1916 par l’administration coloniale, il devient aujourd’hui l’un des symboles forts d’un processus inédit: la restitution à l’Afrique d’objets majeurs de son patrimoine, conservés en Europe.
Taillé dans un tronc massif, creusé avec une précision acoustique remarquable, le tambour parleur n’était pas un simple instrument de musique. Chez les Baoulés et les Atchan, comme dans d’autres sociétés d’Afrique de l’Ouest, il servait à transmettre des messages à longue distance. Son langage reposait sur la reproduction des intonations des langues locales, permettant d’annoncer des cérémonies, de prévenir d’un danger ou de convoquer la population. Véritable «télégraphe de brousse», il reliait les villages et structurait la vie communautaire.
Collecté dans l’entre-deux-guerres, l’exemplaire conservé à Paris a d’abord été exposé au musée de l’Homme, avant de rejoindre en 2006 les galeries du musée du Quai Branly. Haut de près de deux mètres, il impressionne par sa puissance visuelle et sonore. Même silencieux, il porte en lui la mémoire d’innombrables voix.
Fragilisé par l’usure du temps, le tambour a bénéficié à partir de 2015 d’une restauration tout aussi délicate qu’ambitieuse: consolidation du bois, traitement contre les parasites, stabilisation des fissures. Ce travail de «chirurgie», mené en lien avec des experts ivoiriens, s’est imposé comme une étape préalable incontournable à un retour possible. «Restaurer un tel objet, c’est lui redonner sa dignité», soulignait alors un conservateur de l’établissement parisien. La restitution des oeuvres a pris une dimension nouvelle en 2017. Le fraîchement élu président Emmanuel Macron, dans son discours de Ouagadougou, le 28 novembre, annonce sa volonté d’engager le processus de retour du patrimoine conservé en France vers l’Afrique. Dans la foulée, il confie à l’historienne Bénédicte Savoy et à l’écrivain sénégalais Felwine Sarr une mission de réflexion sur un sujet hautement sensible, tant sur le plan politique que muséal. Leur rapport, publié en novembre 2018, recommande alors la restitution sous conditions des objets sortis du continent durant la période coloniale sans consentement. Parmi eux figurait le tambour parleur ivoirien.

(au centre) avec les chefs de la communauté Atchan après la cérémonie de
désacralisation du tambour parleur, au musée du Quai Branly, à Paris, en mai 2022. JACQUES CHIRAC/GRANDPALAISRMN/LÉO DELAFONTAINE
Dès 2019, la Côte d’Ivoire dépose une demande officielle pour sa restitution du tambour (et 148 autres pièces majeures). Le président de la République français confirme cet engagement lors du sommet Afrique-France de Montpellier, en octobre 2021. Après une première convention de dépôt temporaire signée le 18 novembre 2024 au musée des Civilisations de Côte d’Ivoire, le processus s’accélère. Le 28 avril 2025, le Sénat français adopte la proposition de loi autorisant la restitution. L’Assemblée nationale fait de même le 7 juillet. La loi est promulguée le 16 juillet 2025 et entre en vigueur deux jours plus tard, le 18 juillet. À partir de cette date, le tambour cesse de faire partie des collections publiques françaises. Le texte fixe un délai maximal d’un an pour son transfert effectif en Côte d’Ivoire, soit au plus tard le 18 juillet 2026. À Abidjan, le musée des Civilisations de Côte d’Ivoire se prépare à accueillir l’instrument dans ses salles rénovées. L’objectif est d’en faire la pièce maîtresse d’un parcours permanent consacré aux arts sonores et aux systèmes de communication traditionnels. Pour les autorités ivoiriennes, ce retour n’est pas seulement patrimonial: «Ce tambour est une voix qui nous revient», insiste un responsable du ministère de la Culture.
Le départ du tambour parleur du quai Branly illustre une dynamique nouvelle: les musées européens redéfinissent leur rapport à l’Afrique, non plus sur un mode unilatéral mais dans une logique de partenariat. Quand l’instrument quittera Paris, ce sera moins un adieu qu’un passage de relais. Car le tambour parleur n’a jamais cessé de s’exprimer: au musée, à Paris, il racontait aux visiteurs l’inventivité d’un langage disparu. À Abidjan, il retrouvera son rôle de symbole vivant, une voix rendue à ceux qui l’ont portée et comprise.