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Maryse Condé : femme de tête

|Le fabuleux et triste destin d'Ivan et d'Ivana|

Par CATHERINE FAYE - Publié en juillet 2017
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Qu’est-ce que la radicalisation ? En s’inspirant des attentats terroristes de janvier 2015 en France, la grande dame des lettres antillaises revient avec un roman magistral. 

« Je n'ai pas de maître d’origine, ni père ni mère littéraire. Je me suis faite un peu toute seule et plutôt contre ceux que j’avais lus et que j’avais entendus. Je crois que c’est mieux ainsi. Essayer d’être soi-même. » L’écrivaine prolifique ne s’en laisse pas conter. À 80 ans, elle cultive encore l’esprit de contradiction. Une liberté qu’elle a conquise à la force du poignet.

C’est l’essence même de son oeuvre, une oeuvre considérable et maintes fois primée. Entrée en littérature tardivement, l’auteure de Ségou et de La Vie sans fards trouve son inspiration dans les questionnements, les illusions et les désillusions du monde. Dans ses origines sociales et sa propre histoire aussi. Si elle a trouvé aujourd’hui une forme de sérénité, son parcours n’en a pas été moins chaotique. Née Maryse Boucolon au sein de la petite bourgeoisie de Pointeà- Pitre, en Guadeloupe, elle grandit entre contes de Perrault et poèmes de Rimbaud, d’Apollinaire, de Nerval. À 12 ans, elle a lu tout Victor Hugo.

Bercée de mots et de représentations littéraires, elle ne s’interroge pas encore sur sa genèse africaine. « Je croyais que les Noirs poussaient aux Antilles comme les goyaves poussent aux goyaviers et les fleurs parfumées de l’ylangylang aux arbres du même nom. Natifs natals. » Elle va bientôt découvrir que ses parents sont parvenus dans les îles de la Caraïbe au terme d’une douloureuse dépossession.

Cette quête identitaire est au coeur de ses écrits. Comme elle, ses personnages aux origines complexes arpentent le monde. « Les gens qui ne bougent pas ne comprennent pas le monde autour d’eux », estime celle qui, après avoir quitté son île et longtemps enseigné en Guinée, au Ghana, au Sénégal et à l’université Columbia, à New York, vit aujourd’hui à Gordes, dans le sud de la France, avec son second mari, Richard Philcox, traducteur.

Maryse Condé vibre d’une vigueur et d’une sagesse que ne semblent en rien altérer l’âge et la maladie. Son dernier roman, Le Fabuleux et triste destin d’Ivan et Ivana, conte lumineux et tourmenté, puise sa source dans les attentats de Charlie Hebdo et de Montrouge, lorsque la policière martiniquaise Clarissa Jean-Philippe est abattue par Amedy Coulibaly, en janvier 2015. Pour l’écrivain, c’est comme si un frère avait assassiné sa soeur. Elle met alors en scène des jumeaux, en Guadeloupe. Un frère et une soeur aux trajectoires contrariées.

« Comme si elle obéissait à un signal, une force invincible assiégea les jumeaux. » Le héros, Ivan, sera terroriste. Une destinée entremêlée de références à la vie de l’auteur. « Désormais, Ivan connut deux passions. Celle qu’il éprouvait pour sa soeur qu’il aimait et désirait chaque jour davantage, au point qu’il se réveillait la nuit convaincu que l’irréparable s’était produit. Et celle pour son arme, son Mauser. » Magistral.