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Maquette anticipée de la business city de Djibouti.DR
Maquette anticipée de la business city de Djibouti.DR
Découverte / Djibouti

Le futur
en objectif

Par Rémy Darras - Publié en juin 2024
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C’est la méthode. Voir grand, s’inscrire dans l’avenir en permanence, en matière d’infrastructures, de développement durable, de technologies. Certains projets mettront du temps à se déployer, mais l’objectif est de mobiliser les énergies et les ressources.

Conscient de son manque de ressources naturelles et de moyens, Djibouti cherche à exploiter au mieux ses précieux atouts, parmi lesquels son positionnement stratégique, son ensoleillement et sa stabilité monétaire. L’objectif est toujours d’avoir une longueur d’avance même si, parfois, les réalisations et les résultats peuvent être un peu plus longs à se concrétiser. Dans les bureaux d’études d’une capitale en mutation rapide, on imagine donc le futur en permanence. On cherche à attirer 1 million de touristes d’ici 2035. Ou à devenir un hub spatial,tout en renforçant le hub télécoms. Au-delà des effets d’annonce, des projets voient le jour. Et comme le montre le développement du complexe pétrochimique de Damerjog, tout est finalement une question de temps.

Une nouvelle business city

Tutoyant les 243 mètres, avec leurs 43 étages, les Djibouti Towers, dessinées par un architecte russe et reprenant les différents symboles du drapeau national, devaient s’élancer dans le ciel de Djibouti depuis le port historique, construit en son temps par la France coloniale (1888). Le visuel avait beaucoup tourné en 2021. Mais le projet, global et pharaonique, East Africa International Special Business est bien prévu en six phases. Une affaire portée par le groupe China Merchants et qui incarne l’ambition «king size» assumée de la petite république de la Corne de l’Afrique. Le lancement officiel a eu lieu en octobre 2020, et la conception de l’ensemble s’appuie sur le triptyque Port-Park-City. Un ensemble à la fois conçu pour optimiser la plateforme logistique en créant un «backbone» de services et en privilégiant l’accueil et le tourisme. Malgré les retards liés au Covid, la première phase est en cours, avec la mise en service du parc des expositions et de l’ensemble d’hôtels Résidence l’escale.

L’urgence climatique

La dépression des Allols, dans la région de Tadjourah.DOMINIQUE BELASKY/ONTD
La dépression des Allols, dans la région de Tadjourah.DOMINIQUE BELASKY/ONTD

Ici, les conséquences du réchauffement climatique ne se manifestent pas seulement sur la nature, mais constituent également une menace pour les humains. La Corne de l’Afrique devrait être la zone qui en paiera le plus lourd tribut, avec une augmentation de 2,7 à 3,6 °C dans les prochaines années. À telle enseigne que «la région court le risque d’être inhabitable en raison de vagues de chaleur qui devraient dépasser les limites physiologiques et sociales de l’homme», soulignait le président Ismaïl Omar Guelleh en mars dernier, à l’issue du premier Sommet mondial sur les chaleurs extrêmes. Hormis cela, comme le notait un rapport de la Banque mondiale, publié en janvier, Djibouti demeure très vulnérable au risque de montées du niveau de la mer et d’inondations, en raison d’une pluviométrie imprévisible, et au risque de séismes. Une augmentation de 2 °C menacera fortement 90% des récifs coralliens. Le pays figure aussi parmi ceux qui manquent le plus d’eau dans le monde. «Le spectre de la soif est tangible», pointait le chef de l’État, qui a créé fin 2022 un Observatoire régional de recherche sur l’environnement et le climat (ORREC), avec le soutien de l’Agence internationale de l’énergie nucléaire (AIEA). Les populations nomades sont aujourd’hui incitées à se fixer autour de points d’eau, à travers, entre autres, la mobilisation des eaux souterraines et de ruissellement des forages.

L’ouverture récente du parc éolien du Ghoubet (60 MW) et l’hydroélectricité importée d’Éthiopie constituent des voies de diversification énergétique destinées à atténuer la portée des conséquences du réchauffement climatique. Djibouti vise à réduire ses émissions de CO2 de 40% d’ici 2030.

Géothermie et énergie

Le parc Red Sea Power a une capacité de production de 60 MW.DR
Le parc Red Sea Power a une capacité de production de 60 MW.DR

Dans ce contexte, le pays s’est fixé comme objectif de devenir d’ici 2035 le premier d’Afrique à fournir une énergie 100% renouvelable à sa population. Djibouti a inauguré en septembre 2023, dans le Ghoubet, le parc Red Sea Power, composé de 17 éoliennes et d’une capacité de production totale de 60 MW. Il devrait bénéficier d’une extension de 45 MW auxquels s’ajouteront les 25 MW de la future centrale solaire photovoltaïque du Grand Bara.​​​​​​​

C’est en août dernier que le producteur indépendant d’énergie dubaïote AMEA Power a repris le projet au français Engie dans le cadre d’un partenariat public-privé avec le Fonds souverain de Djibouti. Le parc devrait permettre d’éviter 252000 tonnes de CO2 par an. Le pays développe aussi, avec la société australienne CWP Global, un projet d’hydrogène vert d’une capacité d’électrolyse de 10 GW dont une partie de l’électricité produite sera injectée dans le réseau national. Et il entend miser sur son fort potentiel géothermique: 1000 MW enfouis dans ses sous-sols. Plusieurs projets ont émergé, à Galla Le Koma, Garabbayis, Fialé et Arta. D’autres, comme une centrale de biomasse (40 MW) et d’énergie marémotrice (40 MW), devraient permettre à Djibouti d’atteindre ses objectifs. Et de baisser les prix de l’électricité, actuellement très élevés, pour continuer d’attirer des investisseurs.

Télécoms

DJIBOUTI aurait vu quatre câbles sous-marins reliant l’Europe à l’Asie, et passant par ses eaux, endommagés en février dernier, probablement à cause de l’ancre d’un bateau touché par les tirs des groupes Houthis aux Yémen.Il s’était ensuivi d’importantes perturbations des communications en Inde, et aussi dans les pays du Golfe. De quoi souligner à nouveau le caractère stratégique de la position en mer Rouge de la République et le carrefour de connectivité qu’elle constitue pour la communication entre les continents. C’est ainsi que la capitale est depuis novembre 2023 le point d’atterrissage d’un dixième câble sous-marin, India Europe Express (IEX), passant par Oman, l’Arabie saoudite, l’Égypte, la Grèce, l’Italie et la France, et issu d’un accord avec Meta, maison mère de Facebook. Un onzième câble, Blue Raman, lancé par Google, et reliant Israël et l’Arabie saoudite, devrait entrer en fonction prochainement. Si le pays accueille les données des principales sociétés du secteur mondial des TIC, il doit cependant accélérer l’accès de sa propre population au réseau. Fin 2022, le taux d’accès à l’Internet mobile n’y était que de 24,19%. Il n’est parvenu à atteindre le taux de 90% de couverture 4G que récemment. Et «le prix moyen des services de haut débit fixe à Djibouti est deux fois plus élevé que celui du CapVert et trois fois plus élevé que celui de l’Éthiopie, tandis que la vitesse de l’Internet se classaitjusqu’à l’été 2023 parmi les 10% les plus faibles du monde», note la Banque mondiale dans son rapport de janvier 2024. Malgré l’attribution de licences à deux fournisseurs d’accès à Internet, l’ouverture du capital de Djibouti Télécom, l’un des derniers monopoles publics au monde avec l’Érythrée, demeure toujours d’actualité.

Routes

La réhabilitation des routes est un enjeu national majeur. Ici, entre Dorra et Balha.ABOU HALLOYTA
La réhabilitation des routes est un enjeu national majeur. Ici, entre Dorra et Balha.ABOU HALLOYTA

La délégation djiboutienne menée par Ilyas Moussa Dawaleh, ministre de l’Économie, n’est pas rentrée les mains vides de Washington en avril dernier.

C’est 135 millions de dollars qu’elle a su mobiliser auprès de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement, lors d’une table ronde réunissant de nombreux bailleurs, en marge des assemblées générales de printemps des institutions de Bretton Woods. Elle concernait notamment la réhabilitation des routes, endommagées par un trafic important et de fortes intempéries, et qui revêtent un caractère crucial, alors que 90% du fret éthiopien transite par Djibouti. Pour conserverla compétitivité de ses ports maritimes, la République doit s’assurer que les infrastructures routières qui mènent chez son voisin soient de bonne qualité et permettent le transit de marchandises de manière sûre et rapide. Selon les chiffres que nous nous sommes procurés, le gouvernement djiboutien est engagé dans un programme global de 690 millions de dollars. Il est ainsi à la recherche de 341,5 millions de dollars pour les corridors d’importance régionale, et de 285 millions pour les routes de la capitale et des villes secondaires, et celles qui ne sont pas encore bitumées.

Aéroports

En juin 2023, le président Ismaïl Omar Guelleh a procédé à l’inauguration de l’extension de l’aéroport international.ABOU HALLOYTA
En juin 2023, le président Ismaïl Omar Guelleh a procédé à l’inauguration de l’extension de l’aéroport international.ABOU HALLOYTA

Ce n'est pas un, mais deux projets de nouveaux aéroports que Djibouti a inscrits dans son plan Vision 2035. Le coût total s’établit à 600 millions de dollars. L’actuel aéroport Ambouli est à l’étroit dans la ville et les contraintes dues aux activités militaires ne favorisent pas son extension. Situé à 60 kilomètres de la capitale, à Ali Sabieh, le premier d’entre eux (déjà nommé aéroport international Al-Hadj Hassan Gouled Aptidon) prévoit une capacité de 1,5 million de passagers par an et 100000 tonnes de fret manipulées. L’objectif étant de créer une synergie entre les différents modes de transport. Un élément essentiel dans la stratégie de hub logistique. «Il disposera d’un terminal cargo qui servira de base logistique aéromaritime et transformera Djibouti en un hub stratégique pour la région», explique-t-on à l’Autorité des ports et des zones franches de Djibouti (DPFZA). L’Autorité dessert déjà 24 villes, comme Johannesburg, Kigali, Bujumbura ou Abidjan, dans 21 pays grâce à la chaîne multimodale mer-air. «L’aéroport permet d’offrir aux clients l’opportunité de réaliser des économies significatives et de désenclaver les pays de la région des Grands Lacs et au-delà. Les marchandises en zone franche peuvent être reconditionnées et réexpédiées par avion», déclarait Aboubaker Omar Hadi, président de la DPFZA, à Afrique Magazine en janvier [voir site internet]. L’opération nécessite un montage technique et financier particulièrement complexe. Le contrat de conception est aujourd’hui entre les mains des entreprises françaises Egis et ADP Ingénierie. La seconde plateforme se situerait à Obock, et vise quant à elle 350000 passagers.

À l’assaut des étoiles

Le satellite Djibouti 1-A a été mis en orbite en novembre 2023.DR
Le satellite Djibouti 1-A a été mis en orbite en novembre 2023.DR

​​​​​​​C'est à 520 kilomètres d’altitude que se trouve désormais le satellite Djibouti 1-A, placé en orbite le 11 novembre dernier depuis la base spatiale californienne de Vandenberg à bord d’une fusée Falcon 9 de la société du célèbre Elon Musk, SpaceX. Conçu par une dizaine d’ingénieurs et techniciens djiboutiens formés au Centre spatial universitaire de Montpellier (CSUM), le nano-satellite collecte en temps réel des données météorologiques et hydrométriques, notamment dans les zones sans couverture internet, afin d’améliorer l’agriculture, surveiller les phénomènes de changement climatique, comme les sécheresses, et lutter contre l’insécurité alimentaire. Tandis que le lancement de Djibouti 1-B était annoncé pour 2024, le pays est toujours bien décidé à construire un port spatial à Obock, à la suite d’un mémorandum signé l’année dernière avec la société Hong Kong Aerospace Technology Group, pour une valeur de 1 milliard de dollars. Cinq ans de travaux devraient être nécessaires pour construire sept stations de lancement de satellites, ainsi que trois bancs d’essai de fusée. Une affaire à suivre de près.