Aller au contenu principal
Editos

Lettre au(x) président(s)

Par Zyad Limam
Publié le 5 juin 2025 à 10h35
Share

​​​​​​​Le 29 mai dernier, Sidi Ould Tah a été élu président de la Banque africaine de développement (BAD). Une victoire écrasante, au terme du troisième tour de scrutin, avec plus de 76% des voix. Une première historique pour la vénérable institution d’Abidjan. Sidi Ould Tah aura mené une campagne rapide, efficace, avec l’appui de la Mauritanie, du président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, du ministre de l’Économie Sid’Ahmed Ould Bouh et d’une équipe rapprochée dévouée. Le «docteur», comme l’appellent souvent ses proches, s’est imposé comme un profil rassembleur, un trait d’union entre les Afriques, un homme reconnu pour son professionnalisme et une forme de discrétion personnelle appréciée. Ces dix dernières années, l’ancien ministre mauritanien des Affaires économiques avait dirigé la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea), faisant d’une institution «périphérique» l’un des acteurs majeurs de la transformation africaine. Au moment où les États-Unis se désengagent du développement, suivis par d’autres en Occident,«Sidi» apparaît comme celui capable de s’appuyer sur ses puissants réseaux d’amitiés dans le Golfe, en particulier en Arabie saoudite.

Sidi Ould Tah. DR
Sidi Ould Tah. DR

Compétent, connecté, le neuvième président de la BAD incarne donc une vraie lueur d’espoir, celle d’un acteur clé pour une nouvelle étape. Le continent évolue [voir notre édito AM 463], mais trop lentement. La croissance (aux alentours de 4%) ne suffit pas à absorber le formidable élan démographique. Nous sommes déjà plus d’un milliard d’habitants pour un PIB global qui représente un peu plus que celui de la France. Selon la BAD justement, l’Afrique a besoin d’investir entre 130 et 170 milliards de dollars par an dans ses infrastructures. Avec un déficit de financement annuel estimé entre 68 et 108 milliards. Il faut créer des emplois par dizaines de millions. La sécurité alimentaire n’est toujours pas assurée. Environ 600 millions d’Africains n’ont encore pas accès à l’électricité. Il faut tripler la capacité de production électrique d’ici 2040 pour répondre à la demande exponentielle [voir notre cover story, «La bataille de l’énergie», p. 32]. Nous sommes dépassés en termes de développement digital. La révolution de l’IA se déroule loin de nos côtes. Enfin, dernier point mais non le moindre, nous devons nous adapter et financer la lutte contre le changement climatique.

L’Afrique dispose de forces réelles, d’une population jeune, de ressources naturelles abondantes et d’un potentiel d’innovation considérable. Mais pour sortir des dizaines de millions de personnes de la précarité, pour entrer, si l’on devait comparer, dans un modèle chinois de développement, nous devons changer d’échelle, penser autrement, plus «grand», nous focaliser sur l’efficacité, le résultat. Investir. Tout en attirant le monde par notre crédibilité et notre engagement. La BAD elle-même doit changer de «division». Son historique est positif. Mais pour être vraiment «impactante», maintenant, il faut qu’elle augmente plus encore sa surface financière, prête mieux, plus vite, se déconcentre, se modernise. Elle doit se positionner comme un centre d’intelligence, agir comme un think tank dédié à ce «leapfrogging» africain incontournable. Sidi Ould Tah a la volonté d’agir. Et la capacité. Le Président prépare son projet. Il sait qu’il doit convaincre les bailleurs de fonds. Néanmoins, seuls, lui et ses équipes ne pourront pas faire de miracle.

Sur la ligne de front, ce sont les chefs d’État, les responsables politiques et économiques, les patrons de grandes entreprises qui ont une responsabilité imminente. C’est de ces «élites au pouvoir» que doit venir l’impulsion principale, le changement dans la durée, le saut qualitatif, organisé et consensuel, de gouvernance, de planification, de mise en œuvre ainsi que de lutte contre la corruption. Chaque État doit mobiliser et utiliser les ressources. Un rapport récent de la BAD comparait les 190,7 milliards de dollars «d’entrées » financières enregistrées en 2022 aux environ 587 milliards de «fuites». Près de 90 milliards de dollars ont disparu dans des flux financiers illicites, 275 milliards supplémentaires ont été «remontés» par les multinationales qui transfèrent leurs bénéfices, et 148 milliards ont été perdus à cause de la corruption…