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Louis Armstrong, Andrée Blouin et Moïse Tshombé. DR
Louis Armstrong, Andrée Blouin et Moïse Tshombé. DR
Documentaire

Lumumba face au Jazz et à la CIA

Par Jean-Marie Chazeau
Publié le 16 octobre 2025 à 10h39
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Louis Armstrong envoyé au Congo pour détourner l’attention sur le coup d’État soutenu par les Américains: une page méconnue de la guerre froide, racontée dans un foisonnement d’archives et de musique.

Les images sont marquantes: la chanteuse Abbey Lincoln et le batteur Max Roach, figures du jazz et militants des droits civiques, interrompent à New York une séance du conseil de sécurité de l’ONU pour dénoncer l’assassinat de Patrice Lumumba, Premier ministre du Congo tout juste indépendant. Nous sommes en 1961, et le président Eisenhower, à la tribune de ces mêmes Nations unies l’année précédente, avait soutenu le droit à la paix pour le peuple congolais, tout en déclarant en privé: «Que Lumumba tombe dans une rivière de crocodiles!» Nous sommes en pleine guerre froide et les États-Unis, qui ont utilisé l’uranium du Congo belge pour leurs bombes d’Hiroshima et de Nagasaki, ne veulent pas que le précieux minerai tombe aux mains des Soviétiques à l’heure de l’indépendance du pays, mené par un leader marxiste… Ils envoient le célèbre trompettiste Louis Armstrong en tournée à Léopoldville, future Kinshasa, pour faire diversion au moment où se prépare le coup d’État fatal au jeune Premier ministre Patrice Lumumba. Cet épisode, décortiqué en 2h30 qui passent plus vite qu’un concert de big band, entremêle habilement une foule d’archives et de témoignages au tempo du jazz de l’époque. Étourdissant, édifiant, mais aussi dûment authentifié par des chercheurs et des universitaires. On peut faire confiance au réalisateur, le cinéaste flamand Johan Grimonprez, auteur d’un documentaire sur le trafic d’armes (Shadow World, 2016). Il dit, cette fois, avoir «ressenti le besoin de [s]e confronter aux fantômes plus personnels [du] passé colonial belge». Deux ans de recherches, trois ans de montage, pour une démonstration endiablée et magistrale, qui dévoile les coulisses de cet épisode sombre des indépendances et met en lumière des acteurs oubliés de cette période, comme Andrée Blouin (père français et mère banziri), cheffe du protocole et plume de Lumumba, cible des services secrets belges. À noter qu’une version raccourcie a été diffusée il y a quelques mois en France sur Arte. Mais celle-ci, intégrale, magistrale et foisonnante, avec une bande-son évidemment ad hoc, vaut le déplacement.

SOUNDTRACK TO A COUP D’ÉTAT (Belgique, France,Pays-Bas), de Johan Grimonprez. En salles le 1er octobre.