Meshell Ndegeocello
Le feu sur sillons
Avec no more water, l’autrice-compositrice et bassiste soul américaine rend hommage à la verve littéraire et politique de James Baldwin.
C'est sur scène qu’est né ce disque, en 2016, lors d’une performance collective à la gloire de James Baldwin (1924- 1987) à laquelle participait Meshell Ndegeocello. Et qui l’a incitée à oeuvrer de longues années sur ce magnifique album explorant la prose de l’écrivain américain. Ayant subi l’oppression dès son enfance passée dans la plus grande précarité à Harlem, celui-ci aura envisagé d’être pasteur avant de se consacrer à l’art, et uniquement à l’art, au sein de la scène new-yorkaise, puis sur les terres françaises, où il poussera son dernier soupir.
Entre-temps, Baldwin aura publié des livres cruciaux, dont la romance gay La Chambre de Giovanni (1956), ovni assumé d’un corpus farouchement engagé où l’on trouve entre autres La Conversion (1953), Un autre pays (1962) et La Prochaine Fois, le feu (1963). Sous forme de lettre à son neveu, il y déconstruit le schéma de violence imposé à la population noire américaine. Proche de Medgar Evers, Malcolm X et Martin Luther King, célébré par des 2Pac et Jay-Z, il est, cent ans après sa naissance, une icône de la cause noire. Et de Ndegeocello qui, après le succès de son dernier albumen date, The Omnichord Real Book, qui lui a valu un Grammy, s’est plongée corps et âme dans le propos de La Prochaine Fois, le feu. «C’est comme s’il y était question de ma famille, particulièrement le premier chapitre, explique-t-elle dans la note d’intention du disque. J’ai grandi entourée d’hommes noirs qui ne voulaient pas être vus comme doux, et c’est ce dont il parle dans la lettre à son neveu.»
Du baptême à la résurrection, décryptant mille nuances émotionnelles, dont la colère et l’espoir, No More Water convoque le Black Power sur un terreau sonore hybride et savant, entre jazz, soul et spoken word. Le tout servi par une équipe resserrée autour de l’autrice-compositrice, multiinstrumentiste et productrice: le guitariste Chris Bruce, la poétesse jamaïcaine Staceyann Chin, remarquée pour son recueil Crossfire: A Litany for Survival, la chanteuse Kenita-Miller Hicks ou encore le saxophoniste Josh Johnson. Album foisonnant et activiste, No More Water: The Gospel of James Baldwin est l’un des manifestes sociaux les plus groovy qui nous a été proposé cette année.