Aller au contenu principal
Marchés

Olufunso Somorin
« À mesure que nous améliorerons la confiance, la demande continuera de croître »

Par Cédric Gouverneur
Publié le 14 juin 2023 à 14h45
Share
Olufunso Somorin.DR
Olufunso Somorin.DR

Sur le continent, les marchés volontaires des crédits carbone peuvent contribuer à la fois aux objectifs énergétiques et de développement, estime le responsable pour l’Afrique de l’Est du département Changement climatique et croissance verte de la BAD.

AM : Quel est le rôle de la Banque africaine de développement (BAD) sur les marchés volontaires du carbone ? Coopérez-vous avec l’Initiative africaine sur les marchés carbone (ACMI) ?

Olufunso Somorin : La Banque africaine de développement est désireuse de soutenir les pays dans leur accès à la finance climat [également dénommée finance durable ou finance verte, nldr], nécessaire à la mise en place de leurs contributions déterminées au niveau national, prévues par l’Accord de Paris. Accroître cet accès nécessite des instruments innovants, particulièrement ceux du secteur privé. L’un d’eux est le marché du carbone : les revenus additionnels des crédits carbone, issus des investissements verts dans les pays africains, peuvent contribuer à la réduction des risques climatiques, et en même temps renforcer la viabilité commerciale de ces projets. L’ACMI cherche à débloquer le potentiel des marchés volontaires du carbone afin de financer les objectifs énergétiques, climatiques et de développement en Afrique. L’intérêt de la BAD pour la finance carbone se trouvant au diapason des objectifs de l’Initiative, elle soutient donc sa feuille de route pour faire fonctionner les marchés du carbone sur le continent.

Comment expliquer la rapidité de la croissance de ces marchés sur le continent (22 millions de tonnes en 2021, et 2,4 milliards prévues en 2030) ?

Cette hausse s’explique largement par le fait que les crédits carbone ont le potentiel pour contribuer, de façon importante, à l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050. Nombre d’acteurs rapportent que la demande en crédits carbone peut être multipliée par au moins 15 d’ici 2030, et par 100 d’ici 2050. Les entreprises privées s’engageant à mettre en œuvre cette neutralité, les besoins en mécanismes compensatoires croissent en proportion. À mesure que nous améliorerons la confiance des marchés, leur transparence, leur intégrité, leur standardisation et l’augmentation de leurs capacités et de leurs systèmes de financement, la demande pour les crédits carbone de haute qualité continuera de croître. En fait, ce n’est pas avec la demande que nous rencontrons des difficultés, mais avec l’offre. C’est pourquoi l’Afrique doit entrer sur ces marchés.

Quels avantages les États et les entreprises du continent peuvent obtenir ?

Tout d’abord, le flux de finance climat en Afrique, sur les plans quantitatifs comme qualitatifs, demeure extrêmement bas. C’est, en partie, parce que nous n’avons pas totalement exploré le capital privé à mobiliser en complément du capital public auquel le continent a accès. Or, les marchés du carbone, mécanismes du secteur privé, contribuent à diversifier les sources de financement. Deuxièmement, les revenus potentiels issus des projets carbone peuvent financer le développement durable, par la création d’emplois, les opportunités économiques, les investissements structurels, ainsi que le développement social. Ces bénéfices additionnels – au-delà de la réduction des émissions de CO2 – sont cruciaux pour l’Afrique, afin qu’elle puisse réaliser ses propres objectifs de développement. Enfin, les marchés du carbone disposent du potentiel pour stimuler de nouvelles technologies, de nouveaux modèles économiques, des partenariats stratégiques cruciaux pour le développement bas carbone et la résilience climatique. Pour les entreprises, les revenus potentiels issus des crédits carbone peuvent subventionner les prix d’achat de leurs produits. Ce qui peut permettre leur accès aux foyers à faibles revenus, qui ont besoin de ces produits pour améliorer leur qualité de vie, mais se trouvaient, jusqu’ici, dans l’incapacité de les acquérir. Pour ces sociétés, atteindre une base plus large de consommateurs, sans comprimer leurs marges, s’avère possible uniquement grâce à l’apport de ces revenus additionnels.

Les crédits carbone peuvent donc contribuer à financer la transition énergétique ?

Beaucoup de projets de transition énergétique se trouvent actuellement limités en matière de financement adéquat et durable. Les marchés du carbone représentent une gigantesque opportunité pour financer la transition énergétique, en ouvrant de nouvelles opportunités de croissance sur le continent. La majorité des crédits carbone sur les marchés volontaires appartient à la catégorie de la réduction des émissions de carbone, l’autre étant le retrait du carbone de l’atmosphère. Les projets d’énergie renouvelable, de cuisson « propre » [par opposition à la cuisine au charbon de bois, ndlr],entrent dans la catégorie de la transition énergétique dans la plupart des pays africains. Le coût de l’énergie propre peut ainsi être subventionné, devenir plus abordable pour les communautés à faibles revenus, et développer, au final, l’accès à l’énergie. Dans ce contexte, les marchés du carbone financent déjà la transition énergétique en Afrique, qui devient une réalité concrète. Il est important de les voir comme un instrument permettant de contribuer à la fois aux objectifs d’action climatique et à ceux de développement.

Quels obstacles demeurent pour le bon fonctionnement de la compensation carbone ?

Aucun marché n’est parfait, et ceux du carbone ne font pas exception. C’est très important pour comprendre les nombreux challenges qu’ils affrontent, et pour gérer nos propres attentes à leur endroit. Le processus afin d’obtenir des crédits carbone pour un projet, de sa conception à sa validation, est lourd, chronophage et souvent coûteux. Ces difficultés restreignent son accès: en Afrique, environ 70 % de tous les projets, sur les marchés volontaires du carbone, sont fournis par seulement 15 développeurs. Une considération clé pour le bon fonctionnement de tout marché est de savoir quelles sont les règles qui le gouvernent. En ce moment, celui du carbone a besoin d’une structure de gouvernance forte, particulièrement en ce qui concerne l’harmonisation des standards. Les entités qui établissent les critères de certification et la validation des crédits carbone sont très différentes dans leurs modes opératoires, leurs critères d’éligibilité, leurs enregistrements, etc. Cela affecte la qualité et l’intégrité des crédits disponibles sur les marchés.