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Palestine, les larmes et la résilience

Par zlimam - Publié en août 2014
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QUELQUES CHIFFRES POUR TOUCHER DU DOIGT LA RÉALITÉ. 4,3 millions de Palestiniens vivent dans les territoires occupés (Cisjordanie) ou sous contrôle (Gaza). Les réfugiés enregistrés, avec statut officiel, disséminés aux quatre coins du Moyen-Orient, représentent plus de 5 millions de personnes (une partie des habitants de Gaza et de Cisjordanie sont aussi des réfugiés). La plupart d’entre eux vivent ou survivent dans des camps. Les Arabes israéliens représentent 1,7 million de personnes. S’ajoute enfin la diaspora de non-réfugiés (aux États-Unis, au Koweït,  dans les pays du Golfe…) dont le nombre avoisinerait les 1,5 million d’âmes. Il y a donc dans notre monde un peuple de près de 11 millions de personnes, dont les 9/10e sont déracinés, apatrides, vivent encerclés, sans État ou sous occupation.

La question palestinienne se pose depuis 1948. Date de la création d’Israël et de la Nakba (la catastrophe). Les origines remontent évidemment plus loin, à la décomposition de l’Empire ottoman, au mandat britannique et à l’émigration juive en Terre sainte. Depuis 1948, l’histoire de ce peuple est tragiquement rythmée par la guerre et la violence. Guerre des Six-Jours, du Kippour, Liban (Paix en Galilée et Raisins de la colère), première Intifada, seconde Intifada, opération Pluies d’été (sic), opération Plomb durci (sic), opération Pilier de défense (sic), opération Bor-dure protectrice (sic)… Le coût humain est immense. La souffrance se perpétue de génération en génération.

Le conflit n’est pas forcément le plus sanglant de l’histoire récente. Mais c’est l’un des plus emblématiques. Il est au cœur du rapport entre Orient et Occident. Entre Nord et Sud. Il recoupe des questions essentielles, identitaires et religieuses. Oui, les Palestiniens ont fait des erreurs. Oui, ils ont cédé à la violence, aux attaques terroristes. Oui, ils ont voté Hamas. Oui, ils tirent des roquettes en zone civile. Oui, ils ont la malchance d’être nés arabes, manipulés par les soi-disant pays frères qui les utilisent au gré de leurs intérêts à courte vue… Mais ce sont eux les occupés. Ce sont eux les victimes de l’histoire. En plus d’un demi-siècle, la question est restée sans réponse, aucune. De guerre en guerre, et d’accord en accord, les Palestiniens sont toujours un peuple sans État, sans souveraineté et sans liberté. C’est littéralement l’une des toutes dernières situations coloniales du monde moderne. La population de colons juifs en territoires occupés est passée d’un peu plus de 10 000 (début des années 1970) à 270 000 en 1993 et à 520 000 en 2013. Ces deux dernières années, l’expansion des colonies s’est plus qu’accé-lérée rendant chaque jour un peu plus impossible la continuité territoriale d’un éventuel futur État.

Au moment où j’écris ces lignes, l’opération Bordure pro-tectrice à Gaza entre dans sa quatrième semaine. L’objectif est de détruire la capacité mi litaire du Hamas. Au moment où j’écris ces lignes, plus de 1 500 Palestiniens ont été tués dans l’offensive, dont au moins 240 enfants. L’enclave est soumise à un bombardement intensif systématique par terre, air, mer. Toute guerre est dégueulasse. On peut comprendre, admettre la position israélienne, sa volonté d’affaiblir le Hamas, et de faire cesser la menace. Mais, dans un contexte de force aus-si asymétrique, on a le droit et le devoir d’interpeller l’État hébreu, sa démocratie, ses intellectuels sur la violence inouïe utilisée. Des familles entières sont annihilées, des quartiers rasés, des réfugiés deviennent deux fois réfugiés. C’est la stra-tégie de la terreur. Avec son cortège insoutenable et inaccep-table de victimes civiles et sans défense.

Que veut Israël ? Israël veut l’impossible. La paix et la sécu-rité sans concession. La paix et la sécurité sans Palestine. Elle veut Gaza soumise, désarmée, avec le blocus. La coalition au pouvoir ne veut pas la solution des deux États, tout en faisant croire le contraire. Benyamin Netanyahou l’a dit plus d’une fois. Il ne veut pas des accords d’Oslo. Et il aura tout fait pour en limiter l’ampleur. Il a dit aussi : pas d’entité indépendante à l’est du Jourdain qui ne soit pas sous le contrôle militaire d’Israël. Dans son camp, dominé par le parti des colons, les nationalistes ultras et les religieux, il ferait presque partie des modérés. Les autres sont prêts à expulser « tous les Arabes » en Jordanie ou au Liban… Depuis un demi-siècle, Israël ne veut pas répondre à la vraie question, à sa question existen-tielle. Sa question existentielle s’appelle Palestine. L’un des rares à avoir essayé, le Premier ministre Yitzhak Rabin, fut abattu par l’un des siens.

Les Palestiniens sont peut-être du mauvais côté de l’histoire mais ils ont prouvé leur résilience. Ils sont là. Ils ne disparaî-tront pas de la carte. Ils font des enfants. C’est l’un des taux de natalité les plus élevés au monde. Ils s’accrochent comme des damnés à leurs derniers bouts de terre. Ils demandent justice. Un jour, il faudra bien que les armes se taisent. Un jour, il faudra s’asseoir, à nouveau, négocier, ouvrir un che-min vers le futur, pour faire cesser le cycle infernal du deuil et de la répression.

Par ZYAD LIMAM