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On en parle

Quatre livres à lire cet été

Par - Publié en août 2017
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Par Cathérine Faye, Sabine Cessou et Emmanuelle Pontié 
 
L’auteur du multi-primé Meursault, contre-enquête signe un second roman pétri d’une conviction inaltérable : le pouvoir quasi divin de la littérature.
 
« ZABOR OU LES PSAUMES », Kamel Daoud, Actes Sud, 336 p., 21 €.
Depuis toujours, Zabor est convaincu d’avoir un don : s’il écrit, il repousse la mort. « Les gens ont essayé la prière, les médicaments, la magie, les versets en boucle ou l’immobilité, mais je pense être le seul à avoir trouvé la solution : écrire. » Fable, parabole, confession, le second roman de Kamel Daoud, journaliste et écrivain algérien, rend hommage à la nécessité de l’imaginaire et à la liberté d’une langue choisie. « L’écriture est la première rébellion, le vrai feu volé et voilé dans l’encre pour empêcher qu’on se brûle. » Et s’il appelle son héros Zabor, ce n’est certainement pas un hasard. Car Zabor est selon l’islam un des livres saints révélés par Allah avant le Coran et fait référence au Livre des Psaumes confié à David. Soit… Daoud en arabe.
 
« La langue est une aventure en soi. […] Dans mon pays, elle est dissidence, elle est le lieu des imaginaires désobéissants. Comment raconter le monde entre le récit de la guerre de libération, qui fait passer la mort avant la vie, et le récit des religieux, qui fait passer l’au-delà avant l’ici-bas ? C’est une question qui obsède mon écriture : prouver que le monde existe ! » Qu’il brocarde l’islam politique ou la déliquescence du régime algérien, qu’il embrasse l’espoir suscité par les révolutions arabes ou qu’il défende la cause des femmes, ses points de vue tendent un miroir à ses adeptes comme à ses détracteurs. À travers la plume de son héros, imagée, percutante et engagée, Kamel Daoud expérimente nuit après nuit, telle une Shéhérazade voulant sauver ses semblables, la folle puissance des mots, de l’imaginaire. Par la voix de Zabor, père de deux enfants et contraint aujourd’hui d’accepter une protection policière dans les rues d’Oran pour ses prises de position, il affirme sa singularité en défiant la mort au sein d’une société algérienne minée par des croyances.
 
« Un homme qui vous dit qu’il écrit pour sauver des vies est toujours un peu malade, mégalomane ou affolé par sa propre futilité », écrit-il en 2015 dans une de ses chroniques de La Cause littéraire. Son titre ? « Zabor ». C’est de ce texte court que découle sa fiction. Un roman au coeur duquel s’esquisse une interrogation : peut-on sauver le monde par un livre ? Une question à laquelle l’écrivain et chroniqueur fécond, observateur subtil de la société algérienne et défenseur de la laïcité, répond par l’affirmative. D’abord par son amour de la vie. Mais aussi par son indéfectible travail d’écriture, de lecture et de relecture, en se replongeant notamment régulièrement dans les Mémoires d’Hadrien, de Marguerite Yourcenar, parce que l’homme sans Dieu l’intéresse. « Et si l’écriture est venue au monde aussi universellement, c’est qu’elle était un moyen puissant de contrer la mort, et pas seulement un outil de comptables en Mésopotamie. » Mais au-delà d’une quête d’éternité, c’est de liberté dont Kamel Daoud se fait le chantre.
 
« METS LE FEU ET TIRE-TOI », James McBride, Gallmeister, 336 p, 23 €.
roman 
JAMES BROWN, UN MYTHE 
« Chacun dans cette vie, homme ou femme, a sa chanson, et si vous avez un peu de chance, vous ne l’oubliez pas. […] Pour nous, les Africains- Américains, la chanson de notre vie, la chanson de toute notre histoire, s’incarne dans l’existence et l’époque de James Brown. » Quarantecinq ans de carrière, plus de 200 millions de disques vendus, 321 albums enregistrés, dont 16 hits, 832 chansons écrites et 45 disques d’or, James Brown a révolutionné la musique. Jazzman et romancier, lauréat du National Book Award, James McBride s’est lancé sur les traces de cette icône. De rencontres en entretiens, il nous offre un tableau magistral de l’univers du parrain de la soul et nous livre une vision troublante de la société américaine actuelle. « Un homme qui échappait à toute tentative de description. La raison ? Brown était l’enfant d’un pays de la dissimulation : le Sud des États-Unis. » Une enquête passionnante.
 
« KINSHASA JUSQU’AU COU », Anjan Sundaram, éd. Marchialy, 342 p., 21 €.
récit 
UN APPRENTI REPORTER À « KIN » 
L’auteur, originaire d’Inde et formé à la finance aux États-Unis, plaque tout et se prend un aller simple pour Kinshasa, en 2006. Un projet des plus fous qui va changer sa vie. Ce carnet de bord rempli de phrases courtes énonce des faits à la mitraillette. Il ne transige pas avec la réalité qu’il observe autour de lui, ni avec ses propres sentiments, qu’il expose aussi. Sa plongée à la fois objective et subjective dans la RDC d’après la deuxième guerre du Congo lui a valu le Reuters Prize en 2006. Elle a été suivie en 2016 d’un autre livre non moins courageux, après cinq années passées au Rwanda. Non traduit, il s’intitule en anglais : Bad News, Last Journalist in a Dictatorship. Un écrivain est né.
 
Savoureuses chroniques ivoiriennes.
3 questions à…
VENANCE KONAN, UNE PLUME AU VITRIOL 
AM : C’est le troisième recueil de vos chroniques publiées dans le quotidien Fraternité Matin, et le premier qui sort en France et en Europe. Quel public visez-vous ? 
V.K. : Les Africains de l’étranger et les Français ou Européens qui s’intéressent à l’Afrique. Ceux qui ont un regard intelligent, décalé, avec un peu d’humour ! Mes derniers ouvrages, comme la série des Catapila, m’ont fait connaître hors de la Côte d’Ivoire.
Quelle est la chronique qui a le plus fait couler d’encre ou qui vous a attiré le plus de réactions ? 
Peut-être « Le dictionnaire France-Afrique à l’intention de François Hollande », parue au lendemain de son élection. Gros succès. Après, toutes celles qui parlent des questions ivoiro-ivoiriennes, comme la réconciliation ou Laurent Gbagbo. Elles attirent toujours des gens qui adorent et d’autres qui m’appellent, fous de rage.
Vous fustigez non-stop vos compatriotes. Quel est, si on devait n’en retenir qu’un, le plus grand défaut des Ivoiriens, selon vous ? 
Le fait de toujours rejeter la faute à autrui lorsqu’ils ont un problème. Si on est malade ou si on a un accident de voiture, c’est à cause d’un sorcier qui nous en veut. Si on est sousdéveloppé, c’est la faute à la colonisation, etc. Mais c’est un travers africain en général.
 

 

 

Publiées entre 2011 et 2016 dans le quotidien ivoirien Fraternité Matin, ces chroniques présentent l'actualité de la Côte d'Ivoire, de l'Afrique et du monde.

Les premières soulèvent les questions de réconciliation, de justice, du devenir des partisans de Laurent Gbagbo et du redémarrage économique du pays ; les suivantes mettent l'accent sur les promesses du Président de la République, Allassane Ouattara : l'émergence de la Côte d'Ivoire et de l'Ivoirien Nouveau d'ici 2020. "NEGRERIES". Venance Konan. Michel Lafon; 278p., 17,95€